Un père se décrivant lui-même comme un bon à rien, adepte de la sieste impromptue, voit un jour ses rêves se produire dans la réalité.

Issu de l'imagination fertile de Martin Doyon, concepteur et scénariste de la série jeunesse Subito texto présentée à Télé-Québec, Les improductifs transporte le lecteur dans une banlieue tristounette de Montréal, bien loin des univers de prédilection de l'auteur.

Par le rêve, Doyon donne une voix à ces «inutiles» de la société, ceux qui sont souvent perçus comme des paresseux parce qu'ils prennent le temps de vivre, d'observer le monde qui les entoure.

«Ce sont les glandeurs, les rêveurs, les poètes, ceux qui ne sont pas pressés en finissant le secondaire, ceux qui ne sont pas mus par le désir d'être efficace à tout prix», explique-t-il.

Selon lui, ces instants de détente sont nécessaires, même dans une époque d'optimisation comme la nôtre. «De grandes choses se sont réalisées parce qu'elles avaient au départ été rêvées par quelqu'un qui marchait au bord de la mer et qui regardait le soleil se coucher.»

Mais là s'arrête toute ressemblance avec la réalité. De petits gestes anodins commis d'un rêve à l'autre, la vie du protagoniste, Charles Drouin, bascule dans une allégorie qui devient rapidement un véritable cauchemar à mesure que nous tournons les pages.

Tout comme la violence qui éclate en une progression fulgurante, les exploits du Rêveur - «avec un R majuscule» - se gonflent d'un héroïsme teinté de tragédie. Car, comme le dit si bien un personnage surgi en rêve, ce pouvoir a aussi ses effets secondaires.

«Le pouvoir de Charles est tellement fort que je ne voulais pas me limiter à des choses gentilles ou juste amusantes, anecdotiques. Je voulais que ça aille loin, qu'il fasse beaucoup de dégâts», dit Martin Doyon.

L'héroïne et le monstre

Martin Doyon l'avoue, la bande dessinée a marqué sa jeunesse, du Journal de Spirou aux oeuvres de René Goscinny, «une influence marquante» dans son métier de scénariste.

Il met d'ailleurs en scène, à l'intérieur de son récit, les aventures bédéesques d'une Japonaise experte en arts martiaux dont Charles Drouin tombe amoureux, librement inspirée de la Yoko Tsuno de Roger Leloup, héroïne d'une autre BD belge des années 70.

Et dans un récit d'action, il faut forcément un ennemi tout-puissant, une némésis qui ne laissera aucun répit aux protagonistes. Et celle-ci est bien réelle. Peau de cuir spécial salon de bronzage, poitrine maximisée par la chirurgie, bombe sexuelle à retardement et égoïste à souhait, la Charmaine imaginée par Doyon est un monstre détestable et joyeusement ignoble dans tout ce qu'elle entreprend.

«J'ai pris tout ce qui me hérissait dans la nature humaine et j'ai mis ça dans un personnage», avoue-t-il, rappelant que les personnages de méchants sont souvent les plus plaisants à écrire, ou même à jouer pour les comédiens.

Et pourquoi cette histoire pour jeunes adultes en roman plutôt qu'en format télé, le média dans lequel il gagne sa vie depuis les années 90, deux Gémeaux inclus? «Ça vient d'un désir de faire autre chose. L'écriture jeunesse ouvre des portes au niveau de l'imagination, mais il y a toutes sortes de choses qu'on ne peut pas montrer, dont on ne peut pas parler, ou sinon avec des gants blancs. Je voulais être complètement libre pour raconter cette histoire-là.»



Les improductifs, Martin Doyon. Hurtubise, 349 pages

EXTRAIT: 

«C'est fou comme certaines réalités sublimes peuvent être décrites par des mots hideux. L'endormissement, ce moment rare où l'esprit change d'état. Ce passage délicat et jouissif, au cours duquel on lâche enfin prise, où l'on quitte nos emmerdements pour entrer dans un monde où tout est possible. Certains enfants mangent leur gâteau en gardant le glaçage pour la fin. Mon glaçage à moi, c'était l'entrée dans le sommeil, et je prenais beaucoup de plaisir à me maintenir dans cet état mitoyen, entre veille et songe, pour mieux en savourer l'engourdissement.»