Le romancier italien Carlo Lucarelli animera une demi-douzaine d'ateliers au festival Metropolis bleu. Le très prolifique écrivain bolognais, auteur de quatre séries policières aux héros différents, parlera de sa fascination pour l'histoire et de la façon dont il s'en sert de plus en plus pour donner vie à ses romans. La Presse s'est entretenue avec lui.

En parallèle avec vos séries policières contemporaines, vous avez lancé une série qui traverse la fin du fascisme et le début de l'après-guerre. Pourquoi aller vers cette période?

J'ai étudié en histoire à l'université. C'est là que j'ai commencé à écrire des nouvelles. Mon premier livre, Carte blanche, a été publié à un moment où il y avait de grands changements en Italie. La vieille classe politique avait été balayée par les enquêtes Tangentopoli sur la corruption, et Silvio Berlusconi prenait de plus en plus de place. Je voulais parler des dangers de cette époque, mais avec une certaine distance. J'ai décidé de le faire en utilisant une période très importante en Italie, durant laquelle la société d'aujourd'hui s'est façonnée. J'y retourne de temps à autre pour parler des promesses et des problèmes de notre époque et des changements que nous vivons, comme dans les années 50, où tout semblait possible. En ce moment, l'Italie cherche une nouvelle direction économique, politique, sociale.

Pourquoi avoir attendu presque 20 ans pour mettre en scène l'époque coloniale?

J'avais déjà fait quelques nouvelles avec ce fond de scène. Je l'ai toujours trouvé fascinant. Mes recherches sur les colonies italiennes m'ont ouvert un monde que je ne connaissais pas. Avec les événements survenus en Libye en 2011, nous, les Italiens, avons retrouvé un passé colonial que nous avions oublié. Il y a beaucoup de pays où nous avons laissé des traces. Nous recevons aujourd'hui des navires pleins de réfugiés qui ont l'air de venir d'une planète différente. Mais leurs noms, Asmaret, Ferrà, sont ceux du domestique, de la bonne, de la nourrice, de l'amante, d'amis de mon arrière-grand-père. Je suis moi-même marié avec une femme de l'Érythrée. Quand je vais dans sa famille, je vois les traces de la colonie italienne, les édifices...

Comment l'avez-vous rencontrée?

En fait, elle vivait aux États-Unis et est venue me voir après une lecture.

Quel est le bilan colonial italien?

Nous avions plus d'affinités avec les populations locales. Les Italiens qui allaient dans les colonies étaient souvent des paysans. Nous étions moins hautains. Mais aussi moins efficaces. Nous n'avons pas laissé d'infrastructures, de système d'éducation, d'élite comme Gandhi en Inde.

Vous animez depuis près de 20 ans une série documentaire à la télévision italienne, Blu notte (bleu nuit). Saviez-vous que c'est

le nom d'une émission de films érotiques au Québec dans les années 80?

(Il rit) Je l'ignorais.

Blu Notte examine les théories du complot évoquées pour expliquer les faits divers importants et les grandes controverses politiques italiennes. Cette méfiance est-elle particulièrement italienne?

On parle parfois, en mal, de «rétrologie»: la tentative de trouver une autre explication que l'explication officielle, parfois même l'explication la plus évidente. Je crois qu'en général, on doit garder un équilibre avec ce genre de scepticisme. Malheureusement, notre histoire récente, avec l'importance de la mafia dans l'économie, donne souvent raison aux gens qui croient aux complots. Par exemple, la bombe de piazza Fontana, qui a fait 16 morts en 1969. La personne qui a été arrêtée s'est suicidée et, finalement, les coupables semblent bel et bien être des membres de l'État. Souvent, on ne sait jamais la vérité. L'Italie a été un pays frontière durant la guerre froide, beaucoup de jeux dangereux y ont eu lieu.

Votre collaboration avec Andrea Camilleri vous a justement permis de toucher à la mafia.

Le projet est né d'un entretien que nous avons eu lui et moi, où nous avons joué avec nos personnages. Un éditeur nous a demandé de continuer. Camilleri a commencé en m'envoyant une lettre cachée dans un cannolo sicilien (pâtisserie), et j'ai répondu sur le papier d'emballage d'un paquet de tortellinis bolognais. Le monde de Camilleri est différent du mien, pas parce qu'il est sicilien, mais parce qu'il a inventé un monde tout à lui. Je dirais que nos mondes ne sont pas tellement éloignés: la criminalité en Italie est souvent le fait d'industriels du nord, de politiciens du centre et de mafieux du sud. En quelque sorte, la mafia a uni le pays mieux que tous les politiciens.

Venez-vous d'une famille d'écrivains?

Ma mère était une grande lectrice, des policiers à Dostoïevski. Elle m'a transmis sa passion. Mon, père, lui était chercheur en hématologie, et mon frère est devenu biologiste.