Grandes moustaches et crinière blanche, François Cavanna, dit «Cavanna», fondateur des journaux satiriques français Hara Kiri et Charlie Hebdo et écrivain populaire avec une soixantaine d'ouvrages, est mort mercredi soir à l'âge de 90 ans, a-t-on appris auprès de son entourage.

Hospitalisé à Créteil en région parisienne pour une intervention après une fracture du fémur, il a souffert de complications pulmonaires.

Le nom de Cavanna, et ses indignations tonitruantes, sont irrémédiablement liés à Hara Kiri, le mensuel qu'il crée en 1960 avec Georges Bernier, le futur professeur Choron. Un magazine d'humour «coup de poing dans la gueule», sans aucun tabou ni limite, où il tire sur ses cibles favorites, l'armée, les beaufs, les chasseurs ou les religions. Son talent, c'est aussi d'avoir déniché des débutants surdoués - Reiser, Cabu, Wolinski, Gébé, Topor... - qui ont fait le succès du journal.

Un parcours émaillé de multiples procès de presse, qui entraîneront la disparition de l'hebdo Hara Kiri en 1970 après une couverture restée célèbre sur la mort du général de Gaulle - «Bal tragique à Colombey: un mort» - et son remplacement immédiat par Charlie Hebdo. Après dix ans d'interruption faute de lecteurs, Cavanna reprendra ses chroniques au début des années 1990 dans la nouvelle version du journal.

«C'est le grand prêtre de l'humour qui disparaît, mais Cavanna n'est pas tout à fait mort: Charlie Hebdo lui survit», a déclaré à l'AFP Charb, actuel directeur de l'hebdomadaire.

«En créant Hara Kiri dans les années 1960, il est à l'origine d'une mini-révolution dans la presse et dans la manière de rire. De nombreux humoristes lui doivent beaucoup sans le savoir», a ajouté Charb: «Cavanna était avant tout un esprit frondeur, libertaire et libre».

Passionné par la langue française

Avec sa grande silhouette de druide, Cavanna n'a cessé d'écrire pendant plus de 50 ans. D'abord dessinateur de presse, il est l'auteur, dans un style truculent, d'une quinzaine de romans et de multiples essais, parodies et pamphlets, comme Et le singe devint con, Les aventures de Napoléon ou encore Les ritals, en 1978, où il décrit son enfance, «merveilleuse», dans la petite communauté italienne de Nogent-sur-Marne près de Paris.

Né le 22 février 1923 à Paris d'un père italien maçon et d'une mère française, Cavanna est un bon élève, passionné par la langue française. «J'ai tout de suite été happé par l'écriture, l'imprimé. C'est devenu un vice, n'importe quoi d'écrit, je ne pouvais pas m'empêcher de le lire», déclarait-il à l'AFP en 2008.

En 1943, il est raflé par le Service du travail obligatoire (STO) et expédié à Berlin, dont il rentrera après deux ans et demi de camps. Il tirera de cet épisode un autre roman, Les russkoffs, prix Interallié 1979 et en gardera une aversion pour la guerre, l'armée, l'autorité.

Dans son dernier ouvrage, Lune de miel, en 2010, il raconte sa bataille contre la maladie de Parkinson. «Il annonçait ce que son corps lui réservait, a dit à l'AFP Delfeil de Ton, ex-chroniqueur à Hari Kiri et Charlie Hebdo, aujourd'hui au Nouvel Observateur. Ce qui le menaçait encore hier, c'était le pire et il y aura échappé. Il en a bien bavé, tous ces derniers mois, mais on riait, il n'a jamais perdu la tête. Sa tête si bien faite. Si belle».

Le journaliste et écrivain Denis Robert préparait un film sur Cavanna intitulé Jusqu'à l'ultime seconde j'écrirai. «On devait filmer son réapprentissage de la marche. Pour lui, c'était très important de se tenir debout, de marcher», a-t-il écrit sur son compte Facebook.

«L'humour fait mal, disait Cavanna, il fait ressortir le fond des choses et l'étale au grand jour. C'est une façon cruelle de dire les choses cruelles, sans les envelopper».