Il est riche et paradoxal, le parcours de Jo Dallaire-Légaré. Présidente d'Alfred-Dallaire Memoria, une entreprise familiale qui, depuis quatre générations, côtoie chaque jour la mort, cette femme débordante d'énergie a toujours été angoissée par la Grande Faucheuse. Il faut dire qu'elle a côtoyé des morts dès l'enfance, lorsqu'elle habitait au-dessus du salon funéraire fondé, il y a 80 ans, par son grand-père, Alfred Dallaire, rue Ontario Est.

C'est pour défier la mort que la femme d'affaires s'est mise à écrire et à investir généreusement dans les arts (dernière conjointe de Guido Molinari, elle a réalisé deux documentaires sur le peintre, préside une fondation et travaille régulièrement avec des artistes).

Fervente lectrice, Jo Dallaire-Légaré a longtemps cru que «ceux qui écrivaient des livres échappaient à la mort. On nommait leurs noms, on lisait leurs ouvrages et, leur voix, on continuait à l'entendre au creux de l'oreille».

C'est l'une de nombreuses confidences qu'on peut lire dans son plus récent ouvrage, Alfred et moi, publié aux éditions du Passage, maison dirigée par sa fille, Julia Duchastel-Légaré, réputée pour publier des livres qui sont aussi de beaux objets.

Ce livre, l'auteure l'a écrit pour rendre hommage à la mémoire de son grand-père. En 1933, ce dernier a transformé son local de barbier, dans le quartier Hochelaga, en salon funéraire, le premier de ce qui allait devenir un vaste réseau dans la région métropolitaine.

Place aux femmes

Son ouvrage épouse plusieurs formes (récit biographique, entretiens, abécédaires, témoignages, photographies). On découvre le fabuleux destin d'une famille ouvrière et canadienne-française qui, à force de travail et de persévérance, va se bâtir un riche patrimoine familial.

Or, ce qui frappe à la lecture, c'est la place que vont prendre les femmes au fil du temps. Il s'agit d'abord d'une entreprise fondée et dirigée par des hommes, au sein d'une industrie dominée par des hommes. Mais un virage féminin va se faire quand l'auteure reprend le flambeau.

Toutes proportions gardées, il y a un parallèle entre Jo Dallaire-Légaré et Janette Bertrand. Dans sa biographie Ma vie en trois actes, Janette montrait aussi l'évolution des femmes au Québec au XXe siècle.

Dans Alfred et moi, on assiste à l'émancipation des femmes dans le monde des affaires. Alors que sa grand-mère Aline était l'ombre d'Alfred en 1933, aujourd'hui, la propriétaire d'Alfred Dallaire Memoria est entourée de femmes jeunes et compétentes qui ont des postes de direction.

Jo Dallaire-Légaré se dit féministe. Mais elle a eu aussi le soutien de son père, Paul-Émile Légaré, un homme sévère, qui avait des idées progressistes sur le rôle des femmes. «Il fallait aller à l'école et faire des études supérieures, travailler et ne pas se réfugier dans la maternité, garder son nom et divorcer en cas de nécessité.»

Alfred et moi offre une belle leçon de solidarité féminine, qui ne se fait pas aux dépens des hommes. Au contraire.

Femme d'affaires, de lettres et de culture, Jo Dallaire-Légaré a su donner du sens à la vie des siens et des autres, en présidant une entreprise funéraire. Douce revanche d'une femme sur la Grande Faucheuse.

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Alfred et moi. Récit de Jo Dallaire-Légaré. Les éditions du Passage, 128 pages. Entretiens par Hélène de Billy, Abécédaire mis en forme par Michèle Baillargeon.