En mettant un point final à sa trilogie Dragonville, rencontre en sol magogois de mythologies et de personnages en chair et en os en 1910 et en 2010, Michèle Plomer a réussi son pari de faire le pont entre l'Occident et l'Orient. Empois, la dernière partie qui est en librairie depuis mardi, boucle la boucle d'une saga vibrante comme son auteure.

Quand Michèle Plomer regarde sa trilogie reliée en un seul volume, elle sourit de contentement, satisfaite du travail accompli. «Je voulais vraiment raconter une histoire d'amour qui donne confiance en la vie. Et sans prétention, je crois que je suis arrivée à mes fins.»

Certains écrivains sont là pour nourrir l'intellect ou pour montrer le côté sombre de l'humanité. Michèle Plomer ne s'en cache pas: là n'est pas son rôle. Roman d'amour qui survole les océans, Dragonville se termine en apothéose dans Empois, sa dernière partie.

«Je voulais faire une grosse saga romanesque, une nourriture pour le coeur. Dans cette société qui est difficile, où on court toujours, Dragonville nous montre que l'amour peut transgresser le temps, et même la mort.»

C'est la quête d'immortalité des philosophies orientales qui l'a inspirée, dit l'auteure qui a fait plusieurs longs séjours en Chine, où elle a travaillé et a bâti des amitiés solides.

«Les Chinois n'ont pas de deuxième chance comme nous. Ce qu'ils veulent, c'est vivre à fond, et étirer cette vie le plus longtemps possible. Ils n'ont pas ce sens de la culpabilité qu'on a.»

Forte de son expérience chinoise, Michèle Plomer estime que chaque culture a quelque chose à apporter à l'autre, tant dans les valeurs que dans les façons de faire. «Ce livre, c'est pour montrer comment l'Est et l'Ouest peuvent se rencontrer, se mélanger, cohabiter et se transmettre des parcelles de sagesse.»

Secrets de famille

Dans Empois, les histoires d'amour qui avaient été mises en place dans les deux précédentes parties connaissent leur crescendo. Et Dragonville est aussi une saga familiale, avec ses non-dits, ses mystères et ses tabous qui sont révélés peu à peu aux lecteurs.

«Je trouvais intéressant de mettre en scène un grand-père avec un secret et les répercussions que ça a sur sa petite-fille, deux générations plus tard.

«Et surtout, que cet impact ne soit pas négatif, contrairement à tous ces livres, très bons, où un secret familial est lourd à porter et met les personnages dans des situations malheureuses. Un secret peut avoir des conséquences formidables et inespérées! La maison est souvent associée aux fantômes familiaux, mais on peut aussi y trouver les clés pour notre bonheur.»

La chance

La vie est pleine de promesses, dit Michèle Plomer en souriant. Elle ajoute qu'un des éléments importants de Dragonville est la chance, qu'il faut savoir saisir quand elle passe, quelle que soit sa forme.

Quand elle raconte son été de recherche pour le livre qu'elle vient de commencer à écrire, qui portera sur les explorateurs botaniques - «des sautés de l'époque victorienne» - et les répercussions de leurs découvertes sur des jardins québécois, elle convient avec émotion de sa propre chance.

«J'ai la possibilité de passer du temps avec les choses qui me passionnent. Je suis vraiment reconnaissante aux lecteurs, et à tout le monde, de m'avoir accompagnée dans l'aventure Dragonville

Et est-ce que le prochain livre sera aussi long? Probablement - «Je dois aux acteurs de ces événements de ne pas le faire vite, ni en vignettes» -, mais pas en tomes.

«Je suis la première à aimer m'installer avec un gros livre. Ça ne veut pas dire que j'écrirai toujours ce type de roman, mais pour le prochain, ça s'enligne pour ça...»

Extrait

« Li leva la toile jaunie de la vitrine. Neige! Pas la première, quoique la neige et lui en étaient encore au stade des fiançailles, mais une belle et abondante bordée. Le soleil semblait s'être fragmenté en d'infinis cristaux qui tombaient du ciel, illuminant le jour. Planté devant son échoppe, chemise ouverte et tête en l'air, il se laissait galvaniser par les flocons mourant sur sa peau. Chute de baisers frais qu'il s'efforçait de goûter pour

deux. Lung n'avait jamais vécu cette merveille, n'avait jamais vu la terre recouverte d'une mante virginale. La montagne, prise entre deux âges depuis des semaines avec ses arbres gris et nus, s'était résolument transformée en vieillarde aux cheveux blancs. Ce blanc avait recouvert l'aspect sale et ruiné du décor de décembre, et la vallée était maintenant douillette, feutrée. Pas frileux, le Chinois , maugréa une dame en labourant un passage avec ses bottes balourdes en direction de l'usine. Il rentra en criant joyeusement en cantonais Neige! , conscient que chaque fois qu'il prononçait ce mot jamais dit à Hong Kong, il devenait davantage Magogois. »