Le 18 novembre 1992, la découverte dans un petit village de la Haute-Mauricie d'un avion Convair parti de la Colombie avec 4000 kg de cocaïne à bord a retenti dans tout le pays et même dans le monde. Le lendemain, son pilote, Raymond Boulanger, est sorti de l'anonymat en faisant devant les caméras un clin d'oeil mémorable. Ces 4000 kg étaient pourtant de la petite bière comparativement aux quantités déjà transportées pour les cartels colombiens par le Rimouskois, qui aurait fait des dizaines de millions si le coup de Casey avait fonctionné. Ce sont là quelques-unes des révélations que le pilote a faites à notre journaliste Daniel Renaud dans un livre qui raconte la vie hors de l'ordinaire de ce mercenaire qui a côtoyé le célèbre Pablo Escobar, travaillé pour la CIA, été pris en otage par des rebelles marxistes et s'est évadé à deux reprises. Voici un extrait décrivant une partie de l'odyssée du Convair.

En fin de soirée, donc, le Convair décolle sans plan de vol, tous feux éteints, d'une piste parallèle à la mer près de Cabo de la Vela, une petite ville de la péninsule de La Guajira. À l'horizon, des éclairs déchirent le ciel noir, tel un mauvais présage. Boulanger explique avoir choisi cette rampe parce qu'il était en surcharge d'environ 20 000 lb (9000 kg). Normalement, la limite de poids maximale pour un Convair 580 est de 52 000 lb (23 586 kg). Ce soir-là, l'appareil en pesait 70 000 (31 750).

«Il y avait une grande baie faite comme un croissant et l'extrémité de la piste arrivait au bout de cette baie. Il n'y avait pas d'obstacle et je pouvais prendre rapidement le plus de vitesse possible. En quittant la piste, c'était la mer 15 ou 20 pieds plus bas. Cela faisait un coussin d'air aérodynamique. L'avion s'est maintenu là-dessus et cela m'a permis d'accélérer à une vitesse raisonnable pour pouvoir le cabrer en montée», décrit-il.

Boulanger file à 280 noeuds à une altitude d'environ 20 000 pieds (6096 m). Il n'a franchi qu'une quinzaine de milles lorsqu'il entend sur ses équipements de communication par satellite deux petits mots qui seront lourds de conséquences: Tieni cola («tu as une queue»), lui annoncent ses patrons colombiens qui suivent l'évolution de l'opération depuis une chambre de l'hôtel Belvedere, à Bogota, et écoutent les ondes de la police.

Pour freiner les importations massives de cocaïne vers les États-Unis, les autorités américaines ont depuis longtemps mis au point un efficace système de surveillance qui repose sur la mise en alerte d'un long chapelet de bases des douanes, de la garde côtière ou de l'armée qui s'égrainent tout le long de la côte est de l'Atlantique, du Panama jusqu'aux eaux territoriales canadiennes. Par la suite, le Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord (NORAD) avise les autorités canadiennes qui prennent le relais.

Photo photothèque La Presse

Notre journaliste Daniel Renaud a signé le livre Raymond Boulanger, le pilote mercenaire

Le Convair 580 est d'abord repéré par un avion Orion PC3 des Douanes américaines, communément appelé slick, qui avait décollé du Panama peu avant et survolait déjà le secteur. Dans les minutes suivantes, un deuxième appareil, un Falcon 20 de la Garde côtière américaine, s'envole à son tour de Porto Rico pour participer à la poursuite. Selon un article de La Presse de l'époque, les Américains auraient également fait décoller des appareils de la base de Guantanamo, à Cuba. Une chose est sûre. Boulanger a l'oreille collée sur ses appareils sophistiqués et écoute les ondes des autorités. «Illegal trafic, probably a drug flight» («trafic aérien illégal, probablement un vol de drogue»), entend le pilote qui décide alors que l'hallali n'avait pas encore sonné.

Lors du premier vol réussi de 500 kilos de cocaïne à Casey, en septembre, Boulanger avait survolé la République dominicaine et suivi le 60e degré de longitude jusqu'au Nouveau-Brunswick avant de bifurquer vers l'ouest. Il choisit cette fois-ci de voler plus à l'est pour échapper à ses poursuivants. Il s'enligne sur les Bermudes, avec la ferme intention de suivre le 58e degré de longitude.

Quelques heures après le décollage, le pilote mercenaire se trouve dans le secteur des Bermudes lorsqu'il s'entretient pour la dernière fois sur son téléphone satellite avec les patrons colombiens de l'opération. Ces derniers sont en lien direct avec les mafiosi à Montréal. «Ils me disaient: Sois tranquille, Raymond, nous avons les Italiens sur l'autre téléphone. Les gars sont là-bas, ils t'attendent.» Après cet ultime appel, un ordre de silence radio total est donné pour réduire les chances d'être repéré. Rassuré, Boulanger peut souffler un peu.

Mais le répit sera de courte durée. À environ 400 milles (644 km) au nord-est des Bermudes, un inquiétant obstacle se dresse soudainement: une forte tempête qu'il n'a pas vue venir en raison d'une panne de radar survenue après le décollage. «On a commencé à détecter le changement de température. C'était une tempête de vent et de glace arrivant du nord-ouest», dit Boulanger. L'avion est aussitôt fouetté par des rafales de face qui soufflent à 150 noeuds. Boulanger s'agrippe solidement au manche et crie quelques instructions en espagnol. Les essuie-glaces balaient péniblement l'eau qui gèle et s'accumule sur le pare-brise. Le copilote Juan Carlos avale sa salive en fixant les nuages menaçants pendant que les deux assistants tentent de conserver leur calme, attachés à leur banquette. Durant plus d'une heure, le Convair tangue, malmené par les vents violents et secoué par les turbulences. Soudain, les rafales diminuent et les nuages se dissipent. Les premières lueurs du jour et l'horizon apparaissent, mais, avec eux, un autre danger.

Raymond Boulanger, le pilote mercenaire

Daniel Renaud

Éditions La Presse, 228 pages.

Photo Serge Paquet, archives La Presse

En ouvrant la porte de l'appareil, les enquêteurs de la GRC ont assitôt vu quelques-uns des 52 ballots de cocaïne que transportaient Raymond Boulanger et son équipage colombien. 

Photo Robert Nadon, archives La Presse

Le lendemain de son arrestation, Raymond Boulanger a comparu et fait aux photographes un clin d'oeil resté célèbre.