En 10 ans, Le Quartanier s'est imposé comme un acteur essentiel du paysage littéraire québécois en mettant de l'avant des oeuvres exigeantes mais accessibles. Son fondateur et éditeur, le discret et infatigable Éric de Larochellière, est revenu avec nous sur ces années de bouillonnement, que la maison célèbre en lançant mardi 10 novellas.

«La meilleure façon de fêter nos 10 ans, c'est par la littérature», explique l'éditeur. Parmi ces 10 novellas - courtes histoires de 50 à 60 pages, plus longues qu'une nouvelle, plus courtes qu'un roman -, 7 sont inédites. L'occasion, donc, de lire de nouveaux textes, entre autres, de Raymond Bock, Samuel Archibald, Éric Plamondon, Alexie Morin...

«Ces livres ne peuvent mieux représenter ce qu'est Le Quartanier aujourd'hui.» Retours dans le passé, morts prématurées, amitiés brisées: l'éditeur, qui n'a imposé aucun thème, a été surpris lorsqu'il a vu que certains textes se recoupaient ou se répondaient.

«C'est vrai que des sujets se croisent. Mais ce sont mes auteurs... Les voir tous réunis, c'est fascinant.» La majorité des auteurs du Quartanier ont de 28 à 38 ans et vieillissent avec la maison. Éric de Larochellière aime défendre des «oeuvres du début», et le plus dur, en ce moment, est de garder un équilibre entre ses «vieux» auteurs et les nouveaux qui cognent à sa porte.

«Mais je n'ai jamais changé ma manière de choisir. Je recherche toujours des oeuvres qui ont une force d'écriture et d'imaginaire, des aventures littéraires singulières.» Une cohérence éditoriale doublée d'un niveau d'écriture au-dessus de la moyenne malgré les styles fort différents, constate-t-on en lisant ces novellas qui ont sur les lecteurs l'effet d'une drogue: plus on en lit, plus on en veut.

Dix ans de bouillonnement

La fondation

Il y a un peu plus de 10 ans, Éric de Larochellière, jeune libraire et grand amateur de poésie contemporaine, décide de lancer avec un collectif d'auteurs la revue C'est selon. «Rapidement, j'ai eu le goût de me lancer dans l'édition. C'est comme ça que Le Quartanier s'est développé, autour d'une communauté de jeunes poètes. Des quatre premiers livres que j'ai publiés, trois étaient de la poésie.»

La proportion s'est renversée depuis plusieurs années. Aujourd'hui, Le Quartanier publie à peu près 65% de fiction et 35% «d'autres genres». Ce sont des gens comme Benoit Chaput, de L'Oie de Cravan, ou des maisons comme L'effet pourpre - qui a duré de 1999 à 2005 - qui ont convaincu Éric de Larochellière qu'il était possible de lancer sa maison «tout seul dans son appartement, avec juste un ordi et une connexion internet».

Les premières années

Pendant les quatre premières années du Quartanier, Éric de Larochellière a travaillé à temps complet comme chargé de cours à l'UQAM. «J'investissais de mon argent chaque année dans la maison. Mais je n'avais pas de vie.» Il a appris son métier d'éditeur à la dure, «faisant bien» la seule chose qu'il savait faire: le côté artistique (le design des livres) et le travail sur les textes avec les auteurs. «Côté gestion, ce n'était pas fabuleux.» C'est sa conjointe de l'époque, Karine Denault, qui a pris le volet administratif en mains, et qui s'en occupe toujours en tant que codirectrice et copropriétaire.

Dès le début, Le Quartanier est plutôt bien accueilli. Le recueil 2 x 2 de Steve Savage, tout premier livre publié par la maison, est finaliste au prix Émile-Nelligan. Le recueil de Renée Gagnon, Des fois que je tombe, remporte ce prix en 2005. «Je me souviens aussi du lancement au Patro Vys du premier livre de poésie d'Alain Farah, Quelque chose se détache du port, en 2004. C'était plein de monde et d'excitation. Il en avait vendu 112!»

La croissance

En 2006, les livres du Quartanier commencent à être distribués par Dimédia. «Avant, on s'autodistribuait. Mais quand on entre dans le système de distribution, tout change. On vend nécessairement plus de livres parce qu'on est dans 165 librairies. On peut avoir des projets, mieux planifier nos saisons, parce qu'on a des moyens.»

La même année, un auteur du Quartanier, Hervé Bouchard, remporte le Grand Prix de la Ville de Montréal pour son deuxième roman, Parents et amis sont invités à y assister. «Beaucoup de gens ont entendu parler du Quartanier à ce moment-là. La nature et le nombre de manuscrits qu'on a reçus ont alors changé», raconte Éric de Larochellière, qui a pu quitter l'UQAM en 2007 pour se consacrer à son boulot d'éditeur.

La maturité

Éric de Larochellière n'aime pas beaucoup le mot maturité, qui s'applique difficilement à une maison d'édition, croit-il. «Chaque événement est la conséquence de plusieurs autres. Et puis, j'avais depuis le début une idée claire de ce que je voulais sur le plan littéraire et éditorial.»

Cependant, des livres comme L'homme blanc de Perrine Leblanc (Grand Prix du livre de Montréal en 2010, Prix du Gouverneur général en 2011), Arvida de Samuel Archibald (Prix des libraires en 2012), Atavismes de Raymond Bock et la trilogie 1984 d'Éric Plamondon atteignent un public nouveau qui dépasse largement le cercle des initiés.

«La place qu'occupe Le Quartanier dans le paysage n'est plus la même, observe l'éditeur. La maison est installée, reconnue... et observée. Mais c'est un chemin qui est fait parce qu'il y a eu sept ans de travail derrière.»

L'avenir

Les trois livres d'Éric Plamondon et Arvida publiés en France chez Phébus, un accord avec Boréal pour la publication de 12 romans du Quartanier dans la collection de poche Compact, Atavismes traduit en anglais et de nombreuses autres discussions en chemin: Éric de Larochellière a plein de projets de développement.

«D'autres éditeurs, comme Antoine Tanguay chez Alto, vont à la foire de Francfort depuis longtemps. Moi, j'y suis allé pour la première fois cette année. Je suis rendu là. J'ai un fond solide, et la question est: «Comment puis-je le mettre en valeur?»»

En 2013, Le Quartanier ressemble à ce qu'il voulait il y a 10 ans. «En mieux!», lance Éric de Larochellière, qui est entouré d'une petite équipe solide. «J'ai lancé et arrêté plein de choses, des collections, des revues. Je veux continuer à essayer, mais avec plus de prudence. Je ne veux pas publier plus de livres, plutôt trouver le moyen de les mettre davantage en évidence, de mieux les vendre. Les livres doivent vivre, être vus. On doit y penser.»

Photo: Olivier Jean, La Presse