Quand l'écrivain et traducteur André Markowicz décide de traduire à son tour Crime et châtiment de Dostoïevski en 1996, pour Actes Sud, sait-il qu'il va bouleverser le monde de la traduction littéraire? Jusque-là, c'est la traduction d'«école française» qui menait: on adaptait le texte dans une autre langue, mais en le tirant vers la culture de cette langue de traduction, quitte à embellir l'original ou à transformer le style de l'auteur, pour que la version soit plus fluide pour les lecteurs.

L'«école allemande» propose plutôt de respecter à la fois la langue et la culture d'origine du texte original, de ne pas chercher à «améliorer» le style de l'auteur, quitte à ce que le résultat soit moins élégant, l'élégance étant de toute façon une notion subjective. Les traductions de Markowicz «rendent» le style plus brutal, plus contemporain et moderne de Dostoïevski, près d'un siècle après la mort du grand auteur russe.

Version de Pierre Pascal (traduction à la française)

«Cette pauvre Élisabeth était à ce point simple, abattue et épouvantée une fois pour toutes que l'idée ne lui vint même pas de lever les bras pour défendre son visage, bien que ce fût le geste le plus naturel à cet instant, puisque la hache était levée droit sur sa tête. [...] Le coup tomba droit sur le crâne, du côté du tranchant, et coupa en deux toute la partie supérieure du front presque jusqu'au sommet du crâne. Elle s'écroula.»

Version d'André Markowicz (traduction à l'allemande)

«Et, cette malheureuse Lizaveta, elle était tellement simple, tellement écrasée, à tout jamais terrorisée, qu'elle ne leva même pas la main pour se protéger le visage, même si c'était là, à cet instant, le geste le plus naturel et le plus indispensable, parce que la hache était levée tout droit devant son visage. [...] Le coup lui arriva directement sur le crâne, avec le tranchant de la lame, et lui fendit tout de suite la partie supérieure du front, presque jusqu'au sommet. Elle s'effondra net.»