«De temps en temps, un éditeur doit avoir un rôle patrimonial.» Le patron de Boréal, Pascal Assathiany, avait constaté qu'il était devenu quasi impossible de se procurer des textes de Gilles Vigneault en librairie. «Essayez de trouver, par exemple, Quand les bateaux s'en vont, un poème mis en musique qui date de la fin des années 60», lance-t-il.

C'est pourquoi il a eu l'idée de réunir dans la collection «Les Écrits» - qui accueille déjà l'oeuvre de Gabrielle Roy - «environ 98%» du travail de Vigneault, fait de contes, de poèmes et de chansons, incluant des inédits, dont neuf pièces de son prochain disque.

«C'est divisé en quatre volumes, qui totalisent environ 1400 pages, explique-t-il. Le travail de recherche a été mené surtout par Gabriel Landry, professeur au Collège de Maisonneuve et neveu de Gilles. Il connaît son travail par coeur, peut-être même mieux que lui! C'est Gabriel qui a mis en forme l'ensemble.»

Pour Pascal Assathiany, il n'y a pas de doute: Gilles Vigneault est un véritable écrivain, qui s'est démarqué autant par son talent que par sa constance. Peu d'auteurs québécois peuvent se vanter d'écrire depuis 50 ans... «Il s'écrit beaucoup de bonnes chansons au Québec, mais nous, on ne publie pas de chansons. Gilles, ce sont des poèmes mis en musique. Ce n'est pas un romancier, ce n'est pas un essayiste, quand on le lit-on voit qu'il a l'art de la phrase bien tournée, un français impeccable, le sens de l'image. Moi, je l'ai découvert par sa poésie, mais il faut aussi lire ses contes.»

Bref, Gilles Vigneault gagne à être connu! «À être reconnu comme écrivain, en tout cas. C'est une dimension un peu occultée à cause de sa personnalité et de son métier de chanteur. Ça me fait penser à Dany Laferrière qui disait: «Je suis connu, mais je ne suis pas lu.» D'une certaine façon, les gens connaissent Gilles Vigneault, ils l'ont entendu, mais ne l'ont pas lu. Il leur reste cette découverte à faire.»

Les deux premiers volumes regroupant 352 chansons sont publiés ce printemps, alors que les deux autres, qui sont consacrés à sa poésie et à ses contes, arriveront à l'automne. On peut se procurer par souscription les quatre volumes en édition de collection, qui seront imprimés à moins de 1000 exemplaires et signés par le poète. Une version compact sera ensuite en librairie.

Gilles Vigneault sur...

Le ciment d'une chanson

«Je dis toujours aux jeunes qui veulent faire de la chanson qu'il faut écrire comme si on allait être publié dans La Pléiade. Après, c'est facile de faire des élisions et de mettre ça dans sa propre parlure. Quand le vers est enchaîné aux règles de la prosodie française, il peut être libre plus tard. Mais le vers libre en premier, c'est mettre la charrue devant les boeufs, et là les boeufs s'en aperçoivent, ils virent de bord et vont dans l'autre sens. Ça peut faire des bonnes chansons quand même, mais ça ne fait pas quelque chose d'aussi fort, serré. Pour moi, écrire en vers mesurés français, c'est bâtir dur.»

L'inspiration

«Mes chansons ont été écrites dans toutes sortes de contextes, parfois sans même m'en rendre compte. C'est ça qui est drôle. Mais on ne sait pas d'où ça vient, et ça ne nous regarde pas. Il y a des choses qui nous sont données, proposées comme des cadeaux, il faut les recevoir avec beaucoup d'humilité et la certitude qu'on ne les méritait pas.»

La jeunesse

«La jeunesse, c'est un projet. Je regarde les jeunes du printemps érable, on les voit bouger dans la rue, à la une des journaux et partout ailleurs. Ce sont des projets immenses, j'ai même envie de dire: des projets pleins de projets. Moi, j'ai eu des années de débandade, il y avait trop de choses qui venaient trop vite, il y avait trop d'avenir, trop d'allant, il restait trop de chemin à faire. On avance au début à la course, puis on ralentit le pas et on réalise qu'il est bon de choisir et de faire une chose à la fois.»

La mort

«Plus on vit, plus on peut écrire et oser écrire la vie des autres. On découvre qu'elle ressemble beaucoup à la nôtre parce que nous sommes tous confrontés à la mort. C'est pour ça que j'ai écrit: Je fais chaque jour un pas qui m'approche de mon âme. Elle a le pas d'une dame qui ne se retourne pas. Ça veut dire qu'on y pense. Et si on évite d'y penser, il arrive que les autres y pensent pour nous. Et chaque fois que quelqu'un disparaît, on est face à sa propre mort. Ça nous cause de notre fragilité. Qui sait, c'est peut-être ma dernière interview! Vite, une photo...»