Hélène Vachon s'est d'abord fait connaître comme auteure jeunesse. Mais en quelques livres «pour adultes», elle s'est imposée comme une voix originale et singulière avec ses univers peuplés de personnages solitaires et légèrement marginaux: La manière Barrow, en librairie mardi prochain, continue dans cette veine.

Elle nous avait charmés il y a deux ans avec Attraction terrestre, roman à l'humour noir qui racontait l'histoire d'un pianiste sur le déclin et d'un croque-mort solitaire. Hélène Vachon revient cette année avec La manière Barrow, dans lequel un comédien en quête d'absolu gagne sa vie en doublant des publicités de viagra et des soaps américains.

Si on retrouve dans ce quatrième roman la fluidité, le rythme et la légèreté de son écriture, Hélène Vachon admet sans détour qu'il «n'est pas drôle du tout». Pourquoi? Parce que le sujet, «trop grave», ne se prêtait pas à l'humour.

«Je voulais montrer à quoi peut ressembler la vie d'une personne qui ne trouve pas à se nourrir adéquatement dans l'univers qui est le sien. C'est l'histoire d'un manque, d'une faim inassouvie.» Et une façon pour elle de parler de notre époque où la culture est nivelée et transformée en divertissement, «où on s'imagine que ce qui est bon pour un est bon pour tout le monde».

Mais même si le sujet lui tient à coeur, Hélène Vachon ne connaît pas la lourdeur -l'auteure cultive la simplicité, évite les images ampoulées et fuit le sentimentalisme. Le ton de La manière Barrow reste donc toujours léger et incisif. «J'espère! Je montre ce qui est, mais aussi, c'est juste ça. On vit dans un pays paisible et les drames sont ailleurs, en Syrie, au Mali.»

Trouver sa place

Le drame de Grégoire Barrow est avant tout existentiel: il a des aspirations de comédien et veut se dépasser par l'art, mais il n'y arrive pas. Difficile de trouver sa place dans la vie, thème qui intéresse particulièrement Hélène Vachon. «Trouver qui on est, c'est ce qui est le plus long et le plus important. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire parce qu'on ne vit pas en vase clos, on vit avec le regard des autres, dans leurs attentes.»

Elle qui affirme se sentir souvent différente, «une coche à côté», aime les personnages marginaux et a une affection particulière pour les solitaires. «La solitude est l'état le plus naturel de l'être humain. C'est vivre à deux qui est contre-nature et qui est le plus difficile à réussir!», s'exclame l'ex-fonctionnaire de 65 ans, qui vit seule à l'île d'Orléans.

Mais vivre en ermite ne signifie pas être misanthrope. «J'aime beaucoup les gens, mais je n'ai pas besoin de les voir tout le temps...» L'important est de ne pas s'isoler et de jeter des ponts entre soi et les autres, ajoute-t-elle. «Dans la vie, les liens entre les humains, c'est ce qu'il y a de plus beau.»

Corrosif

Hélène Vachon l'admet: non seulement elle «adore» Grégoire Barrow, mais elle lui ressemble beaucoup, entre autres pour son côté sans concession.

Malgré le succès d'estime d'Attraction terrestre, l'auteure est consciente que son public demeure restreint et «vit très bien avec ça». L'exemple de Jocelyne Saucier, qui a connu un immense succès au début de la soixantaine avec Il pleuvait des oiseaux, ne la fait même pas rêver. «Ça n'arrivera pas! dit-elle, en qualifiant son style de corrosif. De toute façon, écrire est déjà une satisfaction incommensurable.»

Elle continue donc à montrer la réalité telle qu'elle est, sans l'édulcorer ni émouvoir à tout prix, avec des personnages qui doutent, font des faux pas et essaient d'améliorer leur sort. «Je reste toujours dans la sobriété des émotions. Mais si je parviens à toucher quand même les lecteurs, c'est parce que les personnages et les liens entre eux sont touchants!»

D'ailleurs, Hélène Vachon aime bien faire se rencontrer des personnages qui n'ont rien à voir ensemble: contre son gré, Grégoire devra cohabiter avec Blake, le comédien américain dont il double la voix dans la série Voisins voisines. Un homme volontaire, vulgaire et animé par une pulsion de vie, antithèse de Grégoire. «J'aime ces relations bizarres parce qu'elles ne suscitent pas les réactions habituelles.»

Depuis Attraction terrestre, Hélène Vachon aime aussi mettre en scène des hommes. «C'est plus facile pour moi, mais je ne sais pas pourquoi, dit-elle en rigolant. Ce serait probablement une question à régler en psychanalyse!» Mais il n'y a pas tant de différences entre les sexes pour une auteure qui s'intéresse d'abord à l'âme humaine - pas étonnant que ses livres dégagent un tel humanisme.

«J'aime prendre un individu dans une situation donnée et voir comment il va réagir, ce qu'il va faire, penser. J'essaie de voir comment fonctionne cette drôle de bibitte qu'est l'être humain. J'en ai une haute opinion, même s'il est souvent décevant. Mais je refuse d'abandonner l'idée que l'être humain est assez extraordinaire.»

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Extrait de La manière Barrow

Elle lui demanda d'initier Fred à l'adaptation. La demande surprit Grégoire. Pourquoi Fred? Parce qu'il est jeune, parce qu'il faut une relève, parce qu'il aime travailler avec toi, parce que. Grégoire avait hoché la tête. Et puis tu peux l'aider. L'adaptation, c'est ta force. Vous allez faire des merveilles, tous les deux. Elle s'était approchée, avait pris son bras, l'avait secoué gentiment: Pourquoi es-tu toujours si seul?

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La manière Barrow

Hélène Vachon

Alto, 176 pages

En librairie mardi