Ce 20e livre de Dany Laferrière semble conçu expressément pour l'hiver québécois: c'est un récit à feuilleter bien au chaud, à méditer en se pelotonnant sous la couverture ou dans un fauteuil, avec peut-être un café ou du vin chaud à portée de la main. Mais aussi avec un carnet et une plume, puisqu'il incite à écrire. Et impossible de ne pas au moins annoter ces chroniques allègres, à la fois légères et nourrissantes, d'un jeune homme qui aura 60 ans en avril. Nous avons demandé à Dany Laferrière de commenter de très courts extraits des 318 pages de son Journal d'un écrivain en pyjama.

Introduction, p. 8

«Ce ne fut pas toujours facile, mais j'avais tout mon temps, d'ailleurs, je n'avais que ça. Je passais mes journées avec le plus beau jouet du monde. Je changeais un mot dans une phrase terne qui se mettait immédiatement à lancer des confettis.»

Commentaire de Dany Laferrière: «Mais c'est ça, l'écriture: repérer dans le fouillis de phrases discrètes, quasi banales, celle qui va tout éclairer. Et là, c'est un peu comme dans un jeu télévisé, on appuie sur le bon bouton et pouf, ça éclate, ça explose, les confettis et les ballons surgissent. Je ne voulais pas être sentencieux en écrivant ce livre, mais au contraire parler de ce chant qui nous habite, que nous reproduisons, tous ces mots que nous utilisons de telle manière que, parfois, quelqu'un nous demande: "Répète ce que tu viens de dire, c'était tellement juste."»

Chronique 2

«L'écrivain sans pyjama»: «[...] emportez avec vous ce petit manuel. Il ne vous servira à rien si vous avez du talent, et il ne fera que vous retenir inutilement si vous n'en avez pas, mais emportez-le pour n'avoir pas à l'écrire plus tard. Une corvée de moins.»

D. L.: «Au départ, j'avais en tête d'écrire un petit livre de quelque 120 pages, et puis, c'est devenu 318 pages [rires]. Pourquoi autant de si courtes chroniques? J'ai travaillé très fort dans mes premiers livres pour qu'on ne trouve pas une phrase qu'on puisse citer! Et puis, quand j'ai écrit L'énigme du retour [2009, prix Médicis], avec ses poèmes, ses chapitres très brefs, j'ai constaté que cela faisait du bien au lecteur. Alors, pourquoi ne pas écrire de courtes chroniques, des réflexions? Je ne crois pas que ce soit kitsch comme forme, mais il faut avoir l'âge voulu pour se montrer ainsi nu, dans le plus simple appareil littéraire. C'est l'âge que j'ai [rires]. Je voulais juste dire aux lecteurs qu'ils ont tous le droit d'écrire pour le plaisir, sans penser à publier, parce que l'écriture est un jouet amusant, voici donc quelques trucs pour vous.»

Chronique 6

«Le troupeau»: «C'est donc moi, ce long roman qui se décline en plusieurs séquences. Ce monologue qui dure depuis plus de 30 ans. Pendant toutes ces années, j'ai joué à mettre ensemble les vingt-six lettres de l'alphabet afin d'exprimer le plus nettement possible ma vision des choses. Je dois préciser que ce moi n'a rien à voir avec l'autofiction. Je ne sens pas trop ce livre (celui que vous êtes en train de lire), et pourtant, ce sont mes expériences de lecteur et d'écrivain que j'enfile ici en brochette.»

D. L.: «Il m'a fallu 30 ans pour être écouté. Mais ce que je voulais, avec ce Journal, c'était proposer d'aller au-delà du jugement. On est en panne d'idées. Il y a beaucoup de clubs de lecture, de blogues de nos jours, qui sont fondés sur "j'aime ceci, je n'aime pas cela", avec une attitude de juge. Alors que c'est discuter de littérature qui importe vraiment. Chaque chronique propose donc une idée, à laquelle on adhère ou pas. Et c'est pour cela qu'à la fin de chacune des chroniques, se trouve aussi une petite phrase en tout petits caractères, un peu comme celles qu'on trouve dans les biscuits chinois. Parfois, elles s'appliquent parfaitement à nous, parfois pas du tout, et ce n'est pas grave!»

Chronique 11

« La digression »: «Choisissez un écrivain que vous aimez et lisez tout ce qu'il a écrit et ce qu'on a écrit sur lui, afin de connaître à fond votre poisson-pilote.»

D. L.: «Une bibliothèque est remplie de chemins. Moi, c'est d'abord Henry Miller, puis Jorge Luis Borges qui m'ont servi de poissons-pilotes.»

Chronique 102

«Une ville tombe »: «À la différence de la littérature, les journalistes doivent questionner les gens pour savoir ce qu'ils ressentent. Le matériel de l'écrivain est léger à transporter (la mémoire) et l'effet du livre sur le lecteur peut être durable (le style).»

D. L.: «Il faut travailler longtemps pour avoir droit au pyjama comme habit de travail! Pour moi, écrire, c'est inventer. En France, il y a une petite fille qui m'a affirmé: "Un écrivain, après sa mort, va vivre à la campagne! " Ça m'a beaucoup frappé: pour elle, l'écrivain n'est donc jamais mort. C'est parce que son livre, le livre est un organisme vivant. Il change selon notre regard de lecteur, notre expérience...»

Chronique 114

«Ne vous pressez pas »: «Au fiel comme au miel, c'est au résultat qu'on verra.»

D. L.: «C'est comme une petite comptine, ces mots. Pour dire qu'écrire un bon livre, ce n'est pas nécessairement écrire un livre bon. Parfois, on dit: "C'est trop sombre, trop dur, tel livre." Comme si l'amertume, la jalousie, la colère ne pouvaient pas faire de la grande littérature! Il arrive qu'un ami me demande après m'avoir lu: "Mais alors, qu'est-ce qui t'arrive? " Il m'arrive l'écriture, mon ami...»

Chronique 143

«Le poids des mots »: «Ma technique, je l'ai piquée au peintre primitif. Il procède par intoxication. Il ne s'adresse pas à l'intelligence, mais aux sens.»

D. L.: «Pour moi, l'intelligence est un sens qu'on ne peut pas toucher... C'est pour cela que, dans ce livre, qui est presque un essai, j'ai aussi laissé de la place pour une fiction, un personnage, une métaphore. C'est pour cela aussi que j'y ai mis en exergue les mots de Lichtenberg: "Un couteau sans lame auquel ne manque que le manche." C'est exactement ça, la littérature: sans lame ni manche, elle peut blesser, tuer, délivrer...»

Chronique 199

«Le roman de la vie »: «Pourquoi les chemins qui s'offrent successivement à nous deviennent-ils des fleuves de sang? L'histoire, la religion, la race ou la classe.»

D. L.: «Tout le monde transporte un désastre fait souvent de toutes petites choses. Ou de grandes. Avant, je ne regardais pas autant les gens, aujourd'hui, je ralentis pour les observer. Ce livre, ce n'est pas pour autant le testament d'un vieil écrivain [rires]! C'est le livre d'un être en constant état de vivant: je suis toujours debout sur quelque chose, que ce soit une chaise ou une fourmilière! Bien sûr, ma tragédie à moi, c'est de parler d'Haïti et de n'y être pas. Mais c'est aussi la plus grande chance de ma vie: si je n'étais pas exilé, je paierais pour l'être!»

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Dany Laferrière en sept dates

1953: Naissance de Windsor Klébert (Dany) Laferrière, à Port-au-Prince (Haïti). De l'âge de 4 à 11 ans, il est élevé par sa grand-mère Da à Petit-Goâve.

1976: Le 1er juin, son ami journaliste Gasner Raymond est assassiné sur ordre du régime dictatorial des Duvalier. Dany Laferrière s'exile à Montréal, à l'âge de 23 ans.

1985: Laferrière publie son premier roman, Comment faire l'amour à un Nègre sans se fatiguer, qui attire l'attention populaire et critique. Tout en étant chroniqueur dans plusieurs médias, il publiera ensuite un livre presque tous les ans: Éroshima, L'odeur du café, Le goût des jeunes filles...

1990: Il s'installe à Miami avec sa femme et ses trois filles, puis revient à Montréal en 2002, où il poursuit son travail d'auteur et de chroniqueur.

2009: Il publie L'énigme du retour, couronné par le prix Médicis (France) et le Grand Prix du livre de Montréal (Québec). L'ouvrage est également traduit en anglais.

2010: Il se trouve à Port-au-Prince au moment du tremblement de terre du

12 janvier, qu'il racontera dans Tout bouge autour de moi (2010).

2013: Le 12 février, il publie son 20e livre, Notes à un écrivain en pyjama, aux éditions Mémoire d'encrier.

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Trois livres à lire de l' «écrivain en pyjama»

Ça ne s'invente pas: forcées de choisir leurs trois livres «préférés» parmi ceux publiés par Dany Laferrière, les journalistes Chantal Guy et Marie-Christine Blais ont suggéré les mêmes titres!

Chronique de la dérive douce, VLB éditeur, 1994:

Dany Laferrière décrit sa ville d'adoption, Montréal, en 1976, lors de sa première année d'exil, en pleins Jeux olympiques et avant l'arrivée du Parti québécois au pouvoir. Un regard fascinant, affectueux et gentiment retors sur un bout de l'Amérique du Nord, le Québec, d'un homme né à l'autre bout de cette Amérique, en Haïti.



















Le cri des oiseaux fous, Lanctôt éditeur, 2000:

Le 10e roman de Laferrière relate sa toute dernière nuit en Haïti, alors que son ami le journaliste Gasner Raymond vient d'être assassiné et qu'il est promis au même destin. À 23 ans, un jeune homme qui veut être écrivain s'interroge sur la liberté, le vaudou, la trahison, la dictature. La mort sous toutes ses formes, l'écriture comme véritable planche de salut.

L'énigme du retour, Boréal, 2009, et Grasset, 2009 (prix Médicis):

Quelque 33 ans après s'être exilé d'Haïti, alors que son père vient de mourir à New York et que lui-même vit à Montréal, un écrivain retourne sur les lieux de sa vie. Mêlant narration, haïkus et réflexions, ce roman éclaté est un long poème vivant et grave. Beau.

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Journal d'un écrivain en pyjama

Dany Laferrière

Mémoire d'encrier, 318 pages.

En magasin le 12 février.

Le lancement public a lieu le 10 février à la Grande Bibliothèque, à 17h, au cours d'un Pyjama Party, dans le cadre de l'événement «Fondu au noir». La soirée marquera également les 10 ans des éditions Mémoire d'encrier. Billets: 25$ (livre compris). Info: fonduaunoir.ca