En 1922, son roman avait pour héros un jeune couple qui pratiquait le partage des tâches. En 1924, elle a inventé une héroïne qui, sur une impulsion, s'est installée en Afrique pour devenir aventurière. En 1930, un de ses meilleurs polars abordait la question de l'adultère, du désir et de l'adolescence angoissée. En 1946, elle a imaginé un personnage de sculptrice qui préférait son art à l'amour. Qui a dit d'Agatha Christie qu'elle était seulement une auteure de romans policiers, de whodunits mettant en vedette Hercule Poirot ou Miss Marple? Certainement pas le biographe français François Rivière!

Quand il ne s'intéresse pas à la vie d'Agatha Christie - ou à l'écrivain Enid Blyton, à Frédéric San Antonio Dard et à Patricia Highsmith, au bédéiste Edgar P. Jacobs, entre autres -, François Rivière est romancier, membre du comité éditorial de la collection Bouquins chez Laffont, critique littéraire au Figaro, traducteur et... scénariste de bandes dessinées (avec Floc'h, Francis Carin, Patrick Dumas, etc.)!

Mais voilà, il s'intéresse, il se passionne, il se captive pour Agatha Christie, dont il a publié une première biographie en 1981, puis des albums consacrés aux promenades et aux recettes de cuisine de la fameuse Duchesse de la mort, des adaptations en BD de huit des polars de Christie... Sa nouvelle biographie illustrée, Agatha Christie, la romance du crime, témoigne une fois de plus de sa fascination. Dans une mise en page et une iconographie luxuriantes d'Éléonore Gerbier, qui marient photos, tableaux, illustrations, encadrés, couvertures, couleurs et, évidemment, quelques taches de sang, Rivière raconte Agatha Christie, une femme et un écrivain hors du commun.

Une femme et un écrivain dont le parcours n'est pas sans rappeler d'ailleurs celui de... l'écrivain Colette: un premier mari adultère, un autre mari beaucoup plus jeune qui la protégera jusqu'à la fin de ses jours, une grande amitié féminine (Marguerite Moreno pour Colette, Nan Watts pour Agatha Christie), une enfance déterminante, un désintérêt complet pour la maternité, une passion pour les animaux, une capacité de travail hallucinante... Et toutes deux femmes nées au XIXe siècle et mortes très âgées au XXe.

«C'est très juste, ce parallèle, dit François Rivière au bout du fil. Tout comme Colette, Agatha Christie a mêlé, toute sa vie, ses émois intimes à ses intrigues. Ce sont deux personnalités très fortes, mais aussi très romantiques quand elles étaient jeunes, piégées par un bel homme qui les trompe et qui vont retrouver la raison et la dignité par le travail acharné. Dans le cas d'Agatha, l'écriture a presque toujours été un soutien dérivatif à sa vie.»

«Ce n'est pas une styliste [écrivain remarquable par son style, dixit le Petit Robert], mais c'est vraiment un écrivain, reprend l'auteur et biographe français. Un écrivain qui s'est toute sa vie inspirée de ses cauchemars d'enfance et des lieux où elle a vécu, et j'ai, dans cette biographie, voulu insister sur les lectures qu'elle a faites, les paysages qu'elle a aimés. L'étude de ses carnets intimes a été également très utile pour éclaircir bien des points de détail. Et puis, grâce au travail récent du biographe anglais Jared Cade [jaredcade.co.uk], on sait enfin ce qui s'est passé pendant les 11 fameux jours où Agatha Christie a disparu complètement en décembre 1926; j'ai pu ainsi mieux comprendre et raconter l'impact que cet épisode a eu sur toute la vie d'Agatha, qui en a été hantée jusqu'à sa mort en 1976. Elle a rompu avec le pacte social de l'époque, a été montrée du doigt, accusée de mousser sa publicité, alors qu'elle était animée par la vengeance et la peine. J'ai été moi-même surpris de voir à quel point cet épisode l'avait marquée pendant tout de même 50 ans...»

Agatha Christie, la romance du crime

François Rivière

Éditions de la Martinière, collection «Beaux livres», 216 pages.

Extrait:

«Agatha éprouve alors le besoin de voyager en solitaire. À l'automne 1928, sachant Rosalind [sa fille, NDLR] en pension jusqu'aux vacances de Noël, elle étudie la possibilité d'une croisière vers les Antilles. Mais deux jours seulement avant le départ, elle dîne chez des amis qui lui vantent les charmes du Moyen-Orient et la magie de Bagdad, où ils ont séjourné. Plus encore, c'est la perspective de voyager à bord du Simplon-Orient-Express qui va convaincre notre Shéhérazade d'aller échanger ses billets à l'agence Cook. »