À Cana, Jésus n'a pas transformé l'eau en vin. Le propriétaire de l'auberge où avaient lieu les noces a tout simplement trouvé des bouteilles cachées. Quand une foule est venue l'entendre sur les rives du lac de Galilée, Jésus n'a pas multiplié les pains. Ses fidèles se sont simplement rendu compte qu'en partageant la nourriture qu'ils avaient avec eux, il y en avait amplement pour tout le monde. Pour ce qui est de l'apparition du Christ ressuscité devant Thomas sur la route d'Emmaüs, l'incrédule n'a pas touché ses stigmates. En fait, il ne l'a même pas vu: il a rencontré son frère jumeau.

Voici quelques épisodes du Nouveau Testament tels que racontés par Philip Pullman, l'auteur britannique de la série fantastique à succès À la croisée des mondes. Cette trilogie, adaptée au grand écran et mettant en vedette Nicole Kidman et Daniel Craig, avait un fort parfum d'anticléricalisme. Le livre Jésus le bon et Christ le vaurien, de Pullman, publié en 2010 et qui est paru en français plus tôt cette année, suit la même trajectoire.

«Le Nobel de physique américain Steven Weinberg disait que les gens sont bons ou méchants même s'ils n'ont pas de religion», explique le romancier de 72 ans, en entrevue depuis Oxford. «Mais seule la religion peut donner un sentiment de vertu à des gens méchants. Les prêtres, les missionnaires ont fait des choses merveilleuses. Mais l'Église a été très mauvaise quand elle avait trop de pouvoir politique.»

Jésus et son frère

Dans le roman de Pullman, Jésus a un jumeau nommé Christ, plus réservé. Ce dernier est chargé par un mystérieux archange de colliger les enseignements de Jésus et de les embellir, notamment en transformant certains épisodes de sa vie en miracles. Christ explique à son frère jumeau la nécessité de fonder une Église universelle qui rassemblerait les gens autour d'un idéal. Après la mort de Jésus - dont le corps est inhumé en secret par des prêtres dissidents du sanhédrin juif -, Christ peaufine son récit et finit ses jours comme fabricant de filets, marié à Marthe, l'une des disciples.

Un mythe raconté par un agnostique

«J'ai relu attentivement les Évangiles et je me suis rendu compte qu'il y avait deux personnages distincts, dit M. Pullman. Paul mentionne 30 fois Jésus et 150 fois le Christ dans ses épîtres. Il est clair que le mythe est plus important que l'homme. J'en suis venu à considérer Jésus comme un conteur magnifique, d'un talent presque littéraire, dont les paraboles expliquent aux hommes comment vivre ensemble, pas qui il est.»

Cet autre projet littéraire de Pullman découle de deux sources. «Mon éditeur avait lancé une série sur les mythes et me demandait d'en raconter un. Parallèlement, j'ai eu un débat en 2003 avec l'archevêque de Canterbury, au Théâtre national, à propos de ma trilogie. Il m'avait dit que c'était bien beau d'attaquer la religion organisée, mais que je ne révélais pas ce que je pensais de Jésus.»

Au fil des entrevues qu'il a données sur son livre, le romancier britannique a affiné sa position sur le sujet. «Je ne peux pas davantage dire que Dieu existe ou n'existe pas. C'est impossible à savoir. Alors j'imagine qu'on peut me considérer comme agnostique.»

Petit, Pullman allait toutes les fins de semaine à la messe. «Mon grand-père était pasteur anglican. C'était un homme de foi et je la partageais. Plus tard, j'ai réalisé l'absence de morale de l'Église toute-puissante. Mon premier enfant a été baptisé, parce que mon grand-père était encore vivant, mais pas mon deuxième. Par une ironie du sort, mes deux fils ont épousé des catholiques et mes petits-enfants font tous leurs sacrements.» Et avec toutes ces controverses portants sur ses écrits, l'auteur a-t-il des traditions de Noël? «Très certainement. Pour moi, c'est un moment pour voir toute ma famille, pour manger, chanter et jouer à des jeux de société.»