L'écrivain français Jérôme Ferrari, qui plonge le lecteur dans les paysages tourmentés et la violence de la Corse avec son Sermon sur la chute de Rome, a obtenu mercredi la plus prestigieuse distinction littéraire française, le Goncourt, devançant le Suisse Joël Dicker.

Jérôme Ferrari, 44 ans, a été désigné au deuxième tour par les jurés du Goncourt, dont le vote assure chaque année au livre du lauréat des ventes à quatre chiffres, jusqu'à 400 000.

L'auteur a accueilli sa récompense avec humour: «Vous savez que Barack Obama a été élu aujourd'hui, vous ne manquez pas un peu de sens de la hiérarchie?», a-t-il lancé en souriant aux dizaines de journalistes couvrant ce climax de la saison des prix littéraires français dans un restaurant chic parisien.

Dans la tradition française des enseignants-écrivains, Ferrari, né à Paris en 1968, est professeur de philosophie, conseiller pédagogique au Lycée français d'Abou Dhabi depuis septembre.

Auparavant, le lauréat du Goncourt 2012 a enseigné au lycée international d'Alger puis au lycée Fesch d'Ajaccio, en Corse, dans cette «île de beauté» sublime et violente, l'une des régions les plus meurtrières d'Europe avec ses règlements de compte sanglants entre nationalistes et/ou bandes mafieuses.

Le titre de son sixième roman fait allusion au fameux sermon de saint Augustin prononcé en 410 dans la cathédrale disparue d'Hippone, devant des fidèles désemparés après le sac de Rome. Augustin les rassure: «Le monde est comme un homme: il naît, il grandit, il meurt».

Le sermon sur la chute de Rome est «une belle parabole sur la désespérance contemporaine, dont la morale est optimiste: la fin d'un monde n'est pas la fin du monde», selon l'auteur.

L'histoire commence avec un vieil habitant, Marcel Antonetti, rentré dans son village corse ruminer ses échecs.

À la surprise générale, son petit-fils Matthieu renonce à de brillantes études de philo pour y devenir patron du bar, avec son ami d'enfance. Leur ambition? Transformer ce troquet en «meilleur des mondes possibles». Les débuts sont prometteurs.

Mais bientôt l'enfer s'invite au comptoir. Alcool, sexe, corruption gangrènent l'entreprise. Et tout finit dans le sang, comme trop souvent en Corse, traumatisée il y a quelques semaines encore par l'assassinat d'un avocat célèbre à Ajaccio.

La simple apparition du Genevois Joël Dicker, 28 ans, dans la liste des favoris pour le prix Goncourt, avait dopé les ventes de son roman de 700 pages La vérité sur l'affaire Harry Quebert qui a atteint un tirage de 70 000 exemplaires.

Ce thriller met en scène un jeune auteur à succès en panne d'inspiration qui tente d'innocenter son vieil ami et mentor Harry Quebert, accusé du meurtre d'une adolescente trente ans plus tôt.

«Je pourrais dédier ce livre à Philip Roth, le seul écrivain encore vivant qui m'ait autant inspiré», a déclaré le jeune romancier suisse à l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur, qui l'accuse d'ailleurs d'avoir plagié La tache.

Deux autres livres étaient en compétition: Peste & choléra (Seuil) de Patrick Deville, une épopée sur le destin d'un homme d'exception, Alexandre Yersin, explorateur en blouse blanche parti au bout du monde découvrir le redoutable bacille de la peste.

Enfin, l'écrivain française d'origine vietnamienne Linda Lê imagine dans Lame de fond le monologue posthume d'un homme renversé par une voiture du fond de sa tombe d'un cimetière de la banlieue parisienne («Je n'ai jamais été bavard de mon vivant. Maintenant que je suis dans un cercueil, j'ai toute latitude de soliloquer»).

Instauré en 1903, le jury du Goncourt a parfois fait des choix étranges, comme en 1932, lorsqu'il a préféré un obscur écrivain bourgeois au chef d'oeuvre de Louis-Ferdinand Céline Voyage au bout de la nuit.