Elle nous attend au Café de l'Usine C, une pinte de bière à la main et une cigarette à la bouche. Elle a bien tenté d'arrêter de fumer pendant ses traitements de chimio et de radiothérapie, mais ses médecins ont fini par lui dire que c'était inutile, que cela allait lui enlever de l'énergie plus qu'autre chose. De toute façon, on n'a pas un cancer du cerveau à 23 ans parce qu'on a trop profité de la vie puisqu'on n'en est qu'au début. C'est juste que, des fois, la vie est une belle salope.

Vickie Gendreau, très active dans le milieu de la poésie et de la performance, était «the life of the party», comme on dit. Amoureuse de la littérature québécoise. Intense et excessive comme peut l'être la jeunesse. Jusqu'à ce diagnostic terrible annoncé en juin. À partir de ce moment, l'urgence d'écrire s'est imposée. «C'était impératif. Tous les méandres de ma vie qui m'ont menée là, mon quotidien, tout ça ne servait à rien. Il fallait que ça passe par la littérature avant tout. Je pensais que j'allais mourir demain matin. Un peu comme n'importe quel reckless de mon âge qui fait la fête et abuse des bonnes choses. Je me suis dit que, si je devais mourir, je voulais léguer quelque chose.»

Et ce qu'elle lègue, ce sont des textes. L'écriture fragmentée de Testament alterne entre le journal intime de la narratrice et les voix de ses amis qui reçoivent ses écrits posthumes. L'expérience est sans concessions, brutale quand on s'y attend le moins. «Je pense que je suis plus difficile envers moi-même que les gens le seront avec moi. C'est difficile pour mes proches de lire ça. Je me suis imaginée morte, j'ai imaginé mes amis réagir à ma mort. Mais c'est plus fort que moi, c'est ça qui m'habite. Je vis une peine d'amour, je vais peut-être mourir, j'écris par rapport à ça, c'est simple, ça vient du coeur, je ne peux pas faire autrement.»

Le tragique, c'est que la peine d'amour de la narratrice est la dernière et qu'elle pourrait bien mourir sans avoir connu l'amour avec un grand A qu'elle convoite tant. «Je suis fleur bleue jusqu'au bout des ongles, admet Vickie Gendreau. Je suis née le même jour qu'Alexandre Jardin et j'en suis très fière. Mais je sais aujourd'hui que ce que je veux est impossible.»

Dans un cruel jeu de miroirs, la narratrice se voit réagir maladroitement au suicide d'un ami, elle voudrait être plus noble à l'annonce de cette perte mais fait un wet dream la nuit même. Ce qui lui fait écrire: «La vie est vulgaire et elle continue.»

Vickie Gendreau avoue en toute candeur cette crainte de disparaître sans que ça change quoi que ce soit dans la vie des autres. «J'ai peur! Quand Marie-Soleil Tougas est morte, cela a marqué ma vie. Tout le monde était triste et a pris un moment pour se souvenir d'elle. Il y avait des ballounes à son effigie. Je me suis dit que moi aussi, quand j'allais mourir, je voulais que les gens soient tristes, que ça les frappe. Dans mon livre, je fais réagir les gens à ma mort et, dans le fond, c'est parce que je veux qu'ils réagissent. Mais je sais que leur vie va continuer et que ça va être vulgaire. Je sais que je vais passer un peu rapidement. Je voulais officialiser ma mort, la dramatiser, la rendre plus palpable avant que ça arrive.»

Mise à nu

Vickie Gendreau n'a pas de filtre, pas de pudeur, aucune question ne semble lui faire peur. Ce côté cute et cru, dans ses paroles comme dans ses écrits, l'a servie pendant les trois années durant lesquelles elle a dansé nue. Un boulot qu'elle aimait beaucoup, déniché pendant une période de dèche. «À Val-d'Or, je suis une danseuse étoile! J'ai ma chambre, je me fais traiter comme une princesse, je peux choisir ma musique.» Et c'est pourtant à Val-d'Or qu'elle a vécu un viol, ce qu'elle révèle dans Testament. «Disons que mon royaume m'est revenu dans la face. Ce qui m'est arrivé à Val-d'Or est la chose la plus hard que j'aie eue à vivre de toute ma vie et j'en parle dans mon livre. J'en parle enfin à tout le monde et j'apprends doucement à l'accepter.»

Malgré tout, ce travail lui manque. «Dans un monde idéal, je me disais que j'allais continuer à travailler dans ce milieu-là et continuer à écrire, mais là, mon corps a changé, je suis boursouflée de partout à cause de la cortisone, je suis zéro sexuelle, une épave. Je vais continuer à écrire, c'est tout ce que je sais. Je vais toujours utiliser la littérature comme une bouée. Mais je n'écris presque plus présentement parce que je suis en transition de médicaments. Ça me manque tellement! Je me rends compte que la seule chose qu'il me reste, c'est la littérature, et l'amitié. Et même pas tant mes amis, parce qu'ils ne peuvent plus rien pour moi.»

Pourtant, ils sont constamment dans ses paroles, particulièrement Mathieu Arsenault, son «coach littéraire». Seuls les plus proches l'ont vue au pire de son état, lorsqu'elle était à moitié paralysée. «Les gens ne sont pas habitués de voir quelqu'un de malade comme moi. Tsé, à 23 ans, j'ai une marchette. Ils sont maladroits... J'ai reçu tellement de sites new age, on veut me faire manger de la gelée royale, que j'aille aux ateliers de Guy Corneau, dialoguer avec mes cellules...» [rires].

Les traitements lui ont «acheté du temps», mais elle ne sait pas combien. Deux ans? Trois ans? Cinq ans? Impossible de savoir. De toute façon, elle ne compte plus en années, mais en livres. Car Vickie Gendreau ne veut pas que Testament soit son seul et dernier roman. Souhaitons la lire à nouveau, car c'est une nouvelle voix qu'on ne voudrait pas voir s'éteindre à peine née.

TESTAMENT, Vickie Gendreau, Le Quartanier, 157 pages. En librairie mardi prochain.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Vickie Gendreau

EXTRAIT DE TESTAMENT

«Mathieu Son astrologie celtique le disait. Elle allait être posthume. La reine est morte. Elle était si trash, si pétillante, si explosive, tellement de sa génération. François Villon en smoking, en boîtier avec thèmes deletés. L'amour, ne jamais en parler assez, juste parler de ça. Marie Uguay en tutu. Je sais que nous l'avons aimée. Ses amis, sa mère et moi. Si nue, si réelle, princesse de riens.»