Philosophe hors norme, auteur d'une cinquantaine d'ouvrages, dont une récente biographie philosophique de Camus, Michel Onfray sera bientôt à Montréal pour présenter La sagesse des abeilles, pièce qu'il a écrite et dont il fait la narration. Seules créatures vivantes sur scène, 20 000 abeilles rappellent la perte qui guette l'humanité si elles continuent de disparaître. Entrevue par courriel sur la mort et l'infinité du cosmos.

Vous racontez la mort de votre père dans le texte. Est-ce le point de départ du projet?

Non. Il y a trois ou quatre ans, Jean Lambert-wild m'a proposé un travail d'écriture pour la scène qui était tout autre - un voyage aux États-Unis sur les traces des socialistes utopistes du XIXe siècle... Le voyage n'a pas pu se faire. [...] Puis il m'a demandé un genre de suite. J'ai alors écrit La sagesse des abeilles avec pour sous-titre Première leçon de Démocrite. J'ai écrit à la première personne. Comme mon père venait de mourir, je n'ai pas pu ne pas écrire à partir de cette image que j'avais en tête: sa tombe recouverte de neige.

L'image de l'abeille et du miel traverse votre texte. Que symbolise l'abeille pour vous?

J'ai aimé cet animal depuis ma plus tendre enfance. Le bruit de son vol est associé en moi à la chaleur de l'été, aux vacances scolaires, à la liberté dans les champs, aux balades dans la campagne, aux sensations éprouvées dans la nature. J'ai travaillé sur l'abeille comme image, métaphore, allégorie, symbole. Elle est d'une incroyable richesse.

Quel lien faites-vous entre l'abeille et Démocrite?

C'est toute la pièce que vous me demandez de raconter! Disons, pour aller vite, que l'abeille, comme fragment de cosmos, nous donne une leçon qu'il faut entendre, comprendre et vivre: le libre arbitre n'existe pas, l'abeille obéit à ce qui la fait être comme elle est - il en va de même pour nous. La sagesse consiste à savoir que, comme l'abeille, nous sommes un fragment du cosmos, qu'il faut donc le savoir, puis le vouloir, pour en obtenir de la joie, du bonheur, de la sagesse. Cette leçon donnée par les abeilles est celle... de Nietzsche! C'est la leçon du surhomme!

Vous parlez de mourir debout. Espérez-vous avoir une mort philosophique, où le regard «n'a(ura) pas tremblé?» Un peu comme le peintre et poète William Blake, qui aurait trépassé en chantant?

En effet, si l'on doit subir un face-à-face, il faut arriver à la mort en la sachant inéluctable et en l'acceptant comme ce qui devait advenir depuis le début. On peut mourir violemment, brutalement, sans s'en apercevoir, et c'est ce qu'il faut souhaiter à chacun. Mais si l'on doit assister à sa propre mort, autant que ce soit l'occasion d'expérimenter la sagesse des philosophes de l'Antiquité. La sérénité est une construction.

Vous restituez la mort dans l'infiniment grand du cosmos. Est-ce le philosophe qui parle? Ou est-ce plutôt un témoignage plus émotif que conceptuel?

Impossible pour moi, qui fait de la congruence la preuve du philosophe, de séparer la pensée et l'autobiographie. Ce que j'écris, je le pense parce que je l'ai vécu. Et je l'ai vécu parce que la mort de mon père m'y a conduit. C'est une idée qui monte de la terre, en l'occurrence de sa tombe, de l'intérieur de la terre, et non un concept qui descendrait du ciel des idées! C'est un cadeau de mon père mort, une transmission post-mortem, un genre de geste d'amour efficace et sans afféterie bien dans son style...

Trouve-t-on un certain éloge du primitivisme dans votre texte? Vous évoquez le savoir premier des gens de la terre et de la langue que parlent les morts ou les planètes.

Le temps est venu pour moi de ne plus être intimidé par les livres... J'en ai publié une soixantaine, ils ne me font plus peur et je sais que la vérité est ailleurs... J'en ai beaucoup lu, je lis encore beaucoup, j'ai commenté, réfléchi sur des textes, partagé sur toute la planète mes lectures et mes réflexions. Je souhaite moins penser le monde à partir de ce qu'en disent les livres qu'à partir de ce que le monde dit lui-même. Dès lors, nombre de bibliothèques s'effondrent et les phrases sentencieuses de tel ou tel, Hegel par exemple, provoquent un léger sourire sur mes lèvres quand je les compare à des phrases de paysans, de viticulteurs, d'apiculteurs, de marins... La bibliothèque m'a conduit à faire l'économie des bibliothèques pour parvenir à la sagesse.

La sagesse des abeilles- Première leçon de Démocrite Spectacle de Jean Lambert-wild et Michel Onfray, présentée au 9e festival Les Escales improbables de Montréal. Du 11 au 14 septembre, 19h, à l'Usine C.

Michel Onfray échangera avec le public montréalais lors d'une rencontre-discussion organisée par le Consulat général de France, en partenariat avec les éditions Flammarion. Le lundi 10 septembre, de 19h à 20h30, salle Bourgie du Musée des beaux-arts de Montréal.