Aude. Parmi les écrivains de la rentrée, voici un nom à retenir. Un nom court dont l'élan créateur nous amène au coeur de la vie et de qui la chamboule, tant au niveau de l'intime que des bouleversements à l'échelle de la planète. Éclats de lieux, c'est le titre, contient 20 nouvelles en tout juste 140 pages, incluant un avant-propos d'une rare générosité pour le lecteur. Ça ne laisse pas place à l'éparpillement.

Aude, alias Claudette Charbonneau, nous a reçus dans son condo du quartier Lebourneuf à Québec, un rez-de-chaussée qui ouvre sur un patio et un îlot de verdure. «La nature, pour moi, c'est une source de vie et de paix.» Mais ça peut être violent comme le sont les grandes marées vues de la plage Jacques-Cartier dans Océan de glace. Comme aussi dans La femme fleuve, une nouvelle qui rappelle le tragique destin de Virginia Woolf. Aude assure qu'elle n'y avait pas pensé en l'écrivant, bien que le texte qui précède, Indélébile Virginia, lui soit consacré.

«Et tout à coup, cela arrive. Une chevauchée. Les images qui se bousculent. Elle voit tout. L'esprit noué, tendu. Le livre entier dans sa tête.» Virginia devant ses feuilles. Aude à l'ordinateur. Pas de différence. Le départ est très lent, dit-elle. L'importance du choix des mots. «La densité plus que la quantité .»

Fuck la mort

Après Chrysalide, un roman publié en 2006 «alors que ma vie basculait», Aude a mis cinq ans à écrire ce recueil. Ce n'est pas faute d'inspiration. Au contraire, les idées foisonnent. C'est la maladie qui a ralenti le rythme. Un diagnostic de cancer du sang qui lui laissait deux ans de vie. Plus de sept ont passé et, bravement, avec discipline, elle continue. «Fuck la mort!», se plaît-elle à dire chaque fois qu'elle termine un texte, pour déjouer le sort.

Une seule nouvelle garde la marque de ce drame. Elle s'appelle Le sang de l'autre et «parle du cadeau des transfusions». Aude a raison de souligner que même ce récit va au-delà de sa propre histoire. Il conduit à «la grande Rencontre», à cet autre dont le sang entre en elle et, en ce sens, il ouvre sur le monde. Un monde où règne la violence. Impossible d'y échapper pour peu qu'on regarde les nouvelles le soir à la télé.

Les Chacals sèment la terreur dans un camp de réfugiés. Sauf que les Chacals ne sont pas ceux qu'on pourrait penser. Ils sont eux-mêmes des réfugiés. La femme dans la ruelle, abattue d'une balle dans l'oeil, ne peut cacher son humanité aux yeux du tueur. De quelque côté qu'on se situe, l'amour, la haine, la peur restent des sentiments que partagent les humains.

Aude a mis la dernière main à son recueil le jour où Jean Charest imposait la loi spéciale (78). Elle n'irait pas jusqu'à comparer Printemps arabe et érable, «parce qu'ici la liberté n'est pas au prix de la vie», mais elle sait, pour avoir longtemps enseigné le français au cégep François-Xavier-Garneau, que les élèves ne sont pas à l'abri des embûches et de la souffrance qui s'ensuit. L'histoire de Colin, la nouvelle de loin la plus longue du recueil, part d'une image, un enfant roux. Hautement d'actualité, cette histoire nous introduit dans l'univers terrifiant de l'intimidation à l'école. Aude la verrait bien portée à l'écran.

Depuis le temps qu'elle publie, la force de son écriture a fait ses preuves. Des prix prestigieux lui ont d'ailleurs été attribués. Celui du Gouverneur général pour Cet imperceptible mouvement, un recueil paru en 1997, et le Prix des lectrices de Elle Québec, en 1999, pour son roman L'enfant migrateur.

Éclats de lieux n'est certainement pas moins important. Dans l'avant-propos, Aude expose sa démarche et ce que signifie sa nouvelle, Les fileuses, qui tout à la fois commence et clôture le recueil. Les fileuses sont trois soeurs de qui dépend le fil de la vie. La folie du monde leur a fait perdre espoir. Néanmoins, elles acceptent à la fin de «transmettre aux plus jeunes l'art de filer la vie fragile des humains». Tout n'est donc pas perdu.

Extrait:

« Jeu d'osselets Enfoui sous d'épaisses couvertures,

François, dix ans. Il est trois heures. Son père a de nouveau hurlé. Frappé.

« J'vais t'le casser, moi, ton sale petit caractère !»

À l'aide d'un cassenoix, François brise une à une les phalanges de sa main droite. »