L'été, il suffit d'un bon livre pour se sentir en vacances. On vous laisse le choix du lieu: au bord de l'eau, au parc, sur le balcon. On vous suggère un menu: de beaux romans, légers ou pas, des polars, une bande dessinée, un peu de science-fiction. Bonnes lectures et bonnes vacances!

L'ÉPOPÉE DU PERROQUET

Kerry Reichs

Traduit par Christine Auché

Oh! éditions, 413 pages

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Les enfants de Kathy Reichs, comme certains de ceux de Mary Higgins Clark et de Stephen King, se sont tournés vers l'écriture romanesque. Mais attention: marcher dans les traces d'un parent ne signifie pas mettre ses pas dans l'empreinte exacte des leurs. Kerry Reichs en fait la preuve dans L'épopée du perroquet, le premier de ses trois romans publié en français et qui, comme les autres, est à tendance chick lit. Tout en n'étant pas que cela, et c'est la surprise de ce livre dont le titre original, Leaving Unknown, est plus pertinent que celui de sa traduction. On y suit Maeve, sympathique fille de 25 ans dont le parcours semble erratique. Assez pour que, après avoir perdu son emploi dans l'énième bar, elle monte dans sa vieille bagnole et parte en direction d'Hollywood avec son perroquet. Sauf qu'à cause d'une panne, elle se retrouve coincée à Coin-Perdu, en Arizona. Et va de découverte en découverte. Sur la région, sur ses habitants (très colorés) et sur elle-même. À ce titre, le lecteur découvrira, lui, que Maeve n'est pas ce qu'elle semble être dans les premiers chapitres. Amusant, pétillant et parfois touchant, cette Épopée est de ces livres rafraichissants qui accompagnent parfaitement les heures à la plage.

- Sonia Sarfati

Super triste histoire d'amour

Gary Shteyngart

Traduit par Stéphane Roques

Éditions de l'Olivier, 410 pages

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Version déjantée du 1984 d'Orwell, ce roman de science-fiction dresse un tableau sombre de ce que l'Amérique est en train de devenir. Big Brother, ici, c'est l'«äppärät», sorte de iPhone hyper-sophistiqué qui permet à chacun de scanner toutes les informations sur ses semblables, indiquant notamment niveau de crédit et «taux de baisabilité». Pourvu d'un physique ingrat, Lenny Abramov, juif immigrant russe de la deuxième génération, fait en outre figure d'inadapté dans ce monde high-tech: il lit encore des livres papier, ces objets malodorants d'un autre âge. Sa relation avec la très belle Eunice Park, de 15 ans sa cadette, se révèle improbable: la jeune femme passe son temps à magasiner sur son äppärät ou à y discuter sur le réseau «GlobAdo». Le roman est constitué de l'alternance de leurs journaux respectifs, qui rendent bien le fossé qui les sépare. Lenny cite Tolstoï, cultive un style classique, empreint de nostalgie pour un monde où les mots primaient sur l'image. Eunice s'exprime dans une langue jeune, cool, sans référence culturelle, hormis «Fraude, le psychiatre». L'humour du romancier juif fait souvent mouche mais n'enlève rien au sérieux du portrait politique et social des États-Unis en plein marasme économique, État policier au bord de la guerre civile. Consumérisme, individus obsédés par la performance, paupérisation de la population au profit d'une élite protégée... Est-ce vraiment de la science-fiction?

- Marielle Bedek

L'arbre de l'oubli

Alexandra Fuller

Traduit par Anne Rabinovitch

Éditions des 2 terres, 327 pages

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Alexandra Fuller a pris l'habitude de dévoiler, d'un regard aimant, les travers spectaculaires de ses parents. L'arbre de l'oubli est le troisième livre que la romancière blanche d'origine rodhésienne écrit sur sa famille. Il remonte plus loin dans le temps, de l'Écosse d'où sont partis les ancêtres de sa mère au début du XXe siècle, pour tenter leur chance en Afrique. Une mère maniaco-dépressive, qui a donné à ses enfants le goût des quatre-litres de vin qui donnent à coup sûr un «mal de tête auto-infligé» le lendemain. On y découvre l'envers de Karen Blixen, l'envers du racisme de la Rhodésie et de l'apartheid, aussi. Les Fuller avaient des employés noirs, mais n'ont jamais eu leur propre terre, se contentant de vivoter de la gérance d'un domaine, de la vente de poisson, de la générosité d'amis qui leur prêtent une maison délabrée. On savait, depuis Don't Let's Go to the Dogs Tonight, que la famille Fuller n'a pas été épargnée par le destin, ayant perdu trois de ses cinq enfants - l'une d'entre elles s'est noyée sous les yeux de ses soeurs, pendant que papa et maman mangeaient avec des amis. Avec la troisième partie de cette autobiographie, on comprend mieux les aspects concrets, modernes, intimistes, du célèbre Heart of Darkness de Joseph Conrad.

- Mathieu Perreault

Swan Peak

James Lee Burke

Traduit par Christophe Mercier

Rivages, 440 pages

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Après avoir survécu aux affres de la dévastation de La Nouvelle-Orléans par l'ouragan Katrina (La nuit la plus longue), Dave Robicheaux, Molly et Clete Purcell décident de séjourner pendant quelques jours dans la nature somptueuse du Montana. Mais au lieu de pêcher la truite, ils vont être confrontés aux hommes de main d'une riche famille locale particulièrement déplaisante et qui semble vouloir cacher de terribles secrets. Puis une série de meurtres particulièrement horribles les plonge à nouveau en pleine drame policier. Dans Swan Peak, 17e roman de la série, James Lee Burke raconte une histoire fort complexe de meurtre, de vengeance et de rédemption avec, en arrière-plan, le décor bucolique des Rocheuses. Cette fois, c'est Clete Purcell qui vole la vedette car il est la cible d'un tueur fou qui l'a aspergé d'essence pour le brûler vif. Il lui a échappé une première fois, mais le mystérieux psychopathe a bien l'intention de finir le sale boulot. Seul le dénouement (jouissif) à la Sergio Leone enlève un peu de vraisemblance à cette longue saga tout à fait passionnante. Quoi qu'il en soit, Burke n'est pas un simple auteur de polars, c'est un authentique romancier et un poète.

- Norbert Spehner, collaboration spéciale

Sur mesure

Catherine McKenzie

Traduit par Sophie Bérubé

Les édition Goélettes, 448 pages

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Quand on cultive les échecs et qu'on ne croit plus à l'amour, est-ce qu'une relation basée sur l'amitié et les concordances plutôt que sur l'attirance et la passion peut fonctionner? C'est la question que se pose Anne Blythe lorsqu'elle s'inscrit dans une agence de mariages arrangés, qui lui concocte le «match» parfait après qu'elle eut rempli un questionnaire et rencontré un psy pendant quelques séances. La jeune trentenaire, professionnelle, jolie et intelligente, part alors dans un tout-inclus au Mexique, pour y rencontrer son futur mari... et l'épouser le lendemain. Si la prémisse de Sur mesure semble farfelue, Catherine McKenzie, qui nous avait déjà charmés avec Ivresse, en fait un roman plausible, conte de fées à l'envers léger et rocambolesque qui nous mène à coup de réparties cinglantes sur les chemins escarpés de l'amour. On est dans la chick lit bien sûr, avec une meilleure amie cérébrale, une mère bizarre... et un prince charmant à la clé, et même si on sent un début de réflexion sur les (vrais) mariages arrangés, cette piste est vite écartée pour se concentrer sur les déboires d'Anne - nommée ainsi en l'honneur de l'héroïne de Lucy Maud Montgomery. Sur mesure reste un livre de vacances parfait, qu'on dévore en quelques après-midi, mais on a hâte de voir si Catherine MacKenzie, qui a un don pour les sujets punchés, pourra nous amener juste un peu plus loin.

- Josée Lapointe

La comtesse de Ricotta

Milena Agus

Traduit par Françoise Brun

Liana Levi, 128 pages

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La comtesse de Ricotta est le surnom de la plus jeune de trois soeurs habitant un palazzo délabré dans la vieille ville de Cagliari. L'aînée, cartésienne et rigide, connaît enfin l'amour et ses tourments. La cadette travaille avec ardeur à fabriquer un bébé avec son mari, toujours volontaire. La benjamine, maladroite quoi qu'elle fasse, élève seul son garçon de 5 ans, que rejettent les autres enfants. S'ajoutent aux occupants de l'immeuble un nouveau voisin discret, une vieille nounou un peu timbrée et son neveu maçon, collectionneur de vaisselle ancienne. Léger comme une bulle mais pas bête du tout, c'est un conte poétique et ensoleillé, parfois bucolique. Difficile de ne pas reconnaître des gens dans les états d'âme de ces trois nobles déchues, chacune avec ses petites névroses, ses sautes d'humeur et ses grands chagrins. Son grand défaut? Trop court! Mais d'un format idéal pour se laisser bercer une heure au bord de l'eau, en rêvant à la Sardaigne, à la mer et à la campagne italienne.

- Marie-Claude Girard

La mort s'invite à Pemberley

P.D. James

Traduit par Odile Demange

Fayard, 393 pages

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Quand une auteure se paie la traite... C'est exactement ce qu'a fait P.D. James avec La mort s'invite à Pemberley, un roman policier en forme de suite à Orgueil et préjugés, l'oeuvre la plus célèbre de Jane Austen. Elizabeth et Darcy sont maintenant parents de deux garçons. Ils habitent toujours le château de Pemberley, où Wickham et Lydia ne sont plus «reçus». De Mr. Bennett à Lady Catherine, on retrouve avec plaisir la foule de personnages archiconnus, dont la pro P.D. James a conservé les particularités. Dans La mort s'invite à Pemberley, un meurtre survient, et Wickham est vite considéré comme le principal suspect. L'enquête avance, le procès s'organise, mais le fond de l'histoire ne sera connu que dans les derniers chapitres. Il y a donc un mystère, mais ce roman reste un exercice de style plus qu'un véritable polar, écrit «à la manière de». En effet, les personnages ne sont pas les seuls à être conformes à l'univers de Jane Austen: on y retrouve aussi le rythme lent et l'écriture brodée avec finesse. Les passions sous-jacentes et les secrets qu'il ne faut surtout pas répéter sous peine d'opprobre restent la trame de fond d'un roman qui ressemble plus à une curiosité, qui se déguste lentement, sourire en coin, et devrait davantage plaire aux amateurs de romans d'époque qu'aux fans de polars purs et durs.

- Josée Lapointe

STARTERS

LISSA PRICE

Traduit par Aude Lemoine

Robert Laffont, 451 pages

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On se demandait à quoi pourraient passer les fans de Hunger Games de Suzanne Collins. La réponse: à Starters, de Lissa Price. Une autre dystopie où, dans un avenir proche, tous les adultes ont succombé, victimes de spores mortelles contre lesquelles ils n'ont pas été vaccinés. Seuls les plus vulnérables, comprendre les enfants et les vieillards, l'ont été à temps. Depuis plus d'un an, les jeunes, appelés Starters, et les vieux, appelés Enders, se partagent les États-Unis. Inégalement. La plupart des premiers sont laissés à eux-mêmes. Les autres, dont l'espérance de vie dépasse largement les 100 ans, sont riches et puissants. Ne leur manque que la jeunesse. Pourquoi ne pas l'emprunter? Ils louent donc le corps d'adolescents dans lesquels ils téléchargent leur conscience. Callie entre ici en scène. Elle a 16 ans et est responsable de son petit frère. Se mettre en location lui permettrait de subvenir aux besoins de l'enfant. Elle le fait. Mais rien ne se déroule comme prévu. Complot, trahison, amour, intégrité, courage. On pense à Hunger Games, pour l'univers et l'héroïne forte et dévouée. On pense aussi à certains textes de Philip K. Dick. Et on attend la deuxième partie: Starters donne les réponses attendues, mais s'ouvre sur une autre piste, des plus palpitantes.

- Sonia Sarfati

Hôtel DF

Guillermo Fadanelli Traduit par Nelly Lhermillier

Bourgois Éditeur, 369 pages

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Tout à fait journaliste et vaguement poète, Frank Henestrosa, le héros rêveur de ce roman, vient de faire un bon coup avec ses textes vendus à la pige. Il décide de se payer de petites vacances de sa réalité quotidienne en descendant à l'hôtel Isabel, pas loin de son appartement. Ainsi s'amorce ce voyage à travers une des grandes métropoles du monde: México, le «DF» (ou district fédéral) du titre. Un roman qui a comme décor un lieu de passage, on a déjà vu ça, mais sous la plume de Guillermo Fadanelli, le genre se renouvelle. On rencontre toute une série de personnages: un touriste allemand qu'on qualifie de «saucisse aventurière», un couple à la déroute qui vacille entre pourriture et amertume, une belle Espagnole choquée par les moeurs sauvages de la ville. Et puisque nous sommes au Mexique, il y a une bonne brochette de gangsters qui sont plus mélancoliques que violents. Entre-temps, les femmes de chambre complotent... En bon observateur, Frank Henestrosa note tout, donne la parole à cette faune bigarrée. Des événements insolites nous attendent, comme cet homme qui assiste aux funérailles de sa trop bien-aimée cousine accompagné d'un porcelet. Exotisme, oui. Clichés, jamais. Ce roman nous fait voyager dans la ville de tous les périls, sans danger.

- David Homel, collaboration spéciale

Le grand COEur

Jean-Christophe Rufin

Gallimard, 497 pages

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Après avoir tâté du thriller avec Le parfum d'Adam et Katiba, Rufin renoue avec le grand roman historique qui lui a assuré succès et célébrité. Au beau milieu de la guerre de Cent Ans, un fils de pelletier tente de convaincre le roi Charles VII de le laisser battre monnaie et commercer afin d'enrichir le royaume ruiné par la guerre. Son plan a été minutieusement réfléchi après un voyage au Proche-Orient où il a pu constater que la civilisation y était plus avancée que celle du royaume de France. Jacques Coeur fera fortune dans cette aventure et attisera bien des rivalités. Ce long et magnifique roman est avant tout une occasion unique de plonger dans le Moyen Âge avec un regard neuf, qui met en lumière sa vitalité malgré ses aspects lugubres. Rufin transmet son érudition en accompagnant son lecteur dans les moindres détails, sans pour autant que la lecture ne devienne fastidieuse. Au contraire, son style ample et souple s'accompagne ici d'une recherche du mot précis, du sens ancien des verbes et des épithètes, tout en respectant l'orthographe moderne. En voici un exemple: «Dans notre nouveau quartier, à quelque distance de ma maison, vivait une famille que mes parents tenaient pour considérable. Avec le temps, je commençais à me rendre compte que tous les bourgeois n'étaient pas d'égale fortune.»

- Rudy Le Cours

Le silence de nos amis

Nate Powell, Mark Long et Jim Demonakos

Casterman Écritures, 200 pages

*** 1/2

Houston, 1967. Il y a un problème: la ségrégation raciale. La communauté noire américaine se soulève. La tension est à couper au couteau dans cette ville texane où le KKK fait presque du porte-à-porte. Jack est blanc et est reporter pour une télé locale. Il couvre les manifestations qui virent parfois à l'émeute armée. La situation est explosive et, dans un tel contexte, la plupart des gens choisissent un camp - qui correspond généralement à la couleur de leur peau. Pas Jack, ni Larry, un militant noir. Les deux hommes tisseront une amitié inhabituelle qui sera aussitôt mise à l'épreuve par un procès pour meurtre, où le reporter agira comme témoin-clé. Le silence de nos amis part d'un affrontement pour mieux explorer le rapprochement entre deux hommes et deux familles qui, dans le Texas de la fin des années 60, demandait courage et conviction. La politique n'est pas au coeur du récit. Pas toute seule, du moins. Inspiré des souvenirs d'enfance de Mark Long, cette très belle BD roman s'attarde autant au mode de vie de l'époque, aux détails qui pourrissaient le quotidien qu'au regard posé par les enfants, entre racisme intégré et curiosité, un flottement sur lequel l'espoir a pu prendre pied.

- Alexandre Vigneault

Profanation

Jussi Adler-Olsen

Traduit par Caroline Berg

Albin Michel, 534 pages

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Dans Miséricorde, de Jussi Adler-Olsen, nous avons fait connaissance avec ce tandem d'enquêteurs atypiques formé du cynique inspecteur Carl Morck et de son mystérieux assistant syrien Assad, seuls membres du département V, chargé des affaires non résolues. Les voici de retour dans Profanation. Leur nouvelle affaire concerne un double meurtre impliquant une bande de lycéens dont les activités illégales et violentes sont inspirées par le film Orange mécanique. Ils ont été innocentés par les aveux «spontanés» d'un membre de la bande, mais Morck soupçonne une machination, car le dossier comporte de nombreuses zones d'ombre. Devenus de riches hommes d'affaires influents, ils organisent des parties de chasse très particulières. Une série de meurtres inexpliqués et d'enlèvements relancera l'affaire, d'autant plus que la seule femme du clan, une tueuse impitoyable, a rompu ses liens avec le groupe. Elle a un compte à régler avec eux et ne fait pas dans la dentelle... Dans Profanation, l'auteur joue adroitement avec nos nerfs et notre curiosité. Le suspense est constant. Un nouveau personnage de secrétaire, forte en gueule, mais très efficace, vient encore ajouter un peu de piquant à cette intrigue déjà électrisante, peuplée de personnages singuliers. Fortement recommandé!

- Norbert Spehner, collaboration spéciale.