Le Britannique William Boyd est de retour avec L'attente de l'aube, roman passionnant qui se déroule au tout début de la Première Guerre mondiale, entre Vienne, Londres et Genève. On y suit Lysander, jeune acteur londonien qui, attiré par les balbutiements de la psychanalyse, vient faire traiter son problème d'anorgasmie à Vienne, pour ensuite devenir espion malgré lui. Entrevue par courriel avec le populaire auteur de Brazzaville Plage et de La vie aux aguets, qui nous parle de doute et de modernité, mais aussi de son enthousiasme à l'idée d'écrire le prochain James Bond.

Pourquoi aimez-vous les personnages qui, comme Lysander, se retrouvent victimes des événements et perdent le contrôle sur leur vie?

Nous avons tous l'impression que nous contrôlons nos vies, mais nous oublions que le monde est mené par la chance - bonne et mauvaise. Dans mon roman À livre ouvert, le personnage principal dit que l'histoire d'une personne se résume par la chance qu'elle a eue ou pas. C'est probablement le thème le plus constant de mes romans. Bien sûr, c'est parfois exagéré, mais j'y crois profondément. J'admets cependant que je fais vivre à mes personnages des moments difficiles!

Le livre commence comme un roman d'apprentissage et se transforme en roman d'espionnage. Ça vous amuse d'amener les lecteurs sur de fausses pistes?

Absolument. Un des plaisirs de la lecture est d'être surpris, d'être entraîné par les embardées et les détours du narrateur. La fiction romanesque est un art très généreux: on peut y faire tout ce qu'on veut. Par ailleurs, mes romans ont souvent des intrigues à plusieurs étages et de nombreux niveaux de lecture, et je n'ai jamais hésité à utiliser différents genres littéraires pour leur donner de la profondeur.

Ce n'est pas innocent d'avoir choisi un acteur pour lui faire jouer un rôle d'espion. Ce sont deux métiers qui se ressemblent?

Les acteurs et les espions sont des maîtres de la dissimulation. Ils ont l'habitude de devenir quelqu'un d'autre, mais dans le cas des espions, la particularité est que leur vie est en jeu. J'imagine qu'un bon acteur regarde la vie comme le font les espions - il observe les détails, les nuances des comportements humains pour «lire» les actions. Bien sûr, on peut dire la même chose d'un écrivain...

La Première Guerre mondiale est une grande source d'inspiration pour vous. Qu'est-ce que cette période nous apprend sur notre monde actuel?

Je crois que le XXe siècle n'a pas commencé en 1900, mais quelque part entre 1914 et 1918, et c'est là que la sensibilité moderne est née. Les vieilles certitudes sont tombées, l'ordre social et la hiérarchie se sont écroulés, et un nouvel âge de l'incertitude est né. Le meilleur exemple de cette période est Vienne, ville dans laquelle s'ouvre mon roman. D'une certaine manière, le voyage de Lysander est un voyage vers la modernité.

«Plus nous en savons, moins nous en savons, dit Lysander. C'est drôle, mais je peux vivre très heureux avec cette idée. Si ceci est notre monde moderne, alors je me sens un homme très moderne.» L'incertitude est-elle synonyme de modernité?

Oui, je le crois - voyez ma réponse précédente. Nous nous méfions de la vérité, des réponses faciles. Le doute et la méfiance font partie de notre organisation mentale. Je ne crois pas que ce soit mauvais: plus nous sommes conscients de la multiplicité des interprétations, mieux c'est.

L'ombre de Freud plane sur votre livre. Est-ce que la psychanalyse a révolutionné le monde?

Oui. Même si Freud est souvent critiqué aujourd'hui (et ça se défend), nous sommes sans aucun doute tous freudiens. Il y a eu trois grandes révolutions dans la perception humaine. D'abord, lorsque Copernic a découvert que le Soleil ne tourne pas autour de la Terre, donc que nous ne sommes pas le centre de l'univers. Ensuite lorsque Darwin nous a montré que nous ne sommes que des animaux. Puis Freud a démontré l'influence majeure de notre inconscient sur notre nature. Ces trois révolutions ont changé radicalement la manière dont les êtres humains se perçoivent, et pour cette raison, Freud demeure important.

Pourquoi passer constamment du «je» au «il» ? Pourquoi ne pas avoir choisi l'une ou l'autre voix?

Je le fais souvent dans mes romans (Armadillo, Brazzaville plage, La vie aux aguets). Cela permet d'avoir plusieurs angles de vue sur le personnage principal. Cela lui donne une voix subjective différente de la narration objective, qui est souvent erronée, différente ou contraire. Cela met le lecteur dans une position inhabituelle de pouvoir, et il peut ainsi juger l'action plus facilement. Nous en savons plus sur Lysander que Lysander lui-même.

Les romans d'espionnage sont presque une tradition britannique. Vous vous sentez partie prenante de cette lignée?

Je fais plutôt partie d'une plus petite tradition de romanciers sérieux qui, de temps en temps, se tournent vers ce genre à cause de la richesse potentielle des sujets et des thèmes, tels Joseph Conrad, Graham Greene, Anthony Burgess, Muriel Spark, Ian McEwen, John Banville... Je suis plus proche d'eux que de l'école des John Buchan, Somerset Maugham, Erskine Childers, John le Carré ou Len Deighton.

Vous avez été choisi pour écrire le prochain James Bond. Comment vous préparez-vous? Vous sentez une certaine pression?

Je ressens plus d'excitation que de pression. Avoir la possibilité d'écrire un roman qui met en scène un personnage aussi mythique que James Bond est un défi extraordinaire. Surtout qu'on m'a donné une liberté totale. Ce sera un roman de William Boyd mettant en vedette James Bond: pasticher Ian Fleming n'aurait pas de sens. Donc je n'ai pas modifié ma méthode de préparation, qui est de construire et élaborer un récit captivant, des personnages avec de la profondeur et un décor réaliste. Aussi, je relis avec beaucoup d'attention, en prenant des notes, les 14 romans de James Bond de Ian Fleming. Je me rends compte que je suis devenu un expert mondial en «Bond studies» !

L'attente de l'aube

William Boyd Traduit par Christiane Besse

Seuil, 412 pages

*** 1/2