Dans Royal Romance, François Weyergans raconte une histoire d'amour entre un éditeur français et une serveuse québécoise, digresse allègrement et donne le beau rôle à Montréal. Rencontre avec un jeune écrivain de 71 ans qui cultive l'art de la procrastination avec élégance.

Au premier abord, il y a dans François Weyergans un mélange de savant fou, de chasseur de papillon et de pierrot lunaire. Pendant deux semaines, vous n'entendez pas parler de lui: sollicité pour une interview, le goncourisé de 2005, aujourd'hui auteur de Royal Romance, a disparu en Suisse et en Belgique et ne donne plus de nouvelles. Il réapparaît le 9 mai et donne rendez-vous, pas loin de chez lui, dans les jardins d'un petit hôtel «de charme» de la rue Dauphine. Le nouvel immortel, élu à l'Académie française en 2009, porte un costume sombre sans cravate et des chaussures Adidas plus très neuves.

Pour cette touche d'originalité, Weyergans a la cote d'amour dans les milieux littéraires parisiens. Autre signe distinctif: il souffre de «procrastination», la maladie de l'auteur qui ne parvient pas à terminer ses livres. Lorsque Trois jours chez ma mère (Grasset) est paru en septembre 2005, huit ans après le précédent, cela faisait 18 mois qu'on annonçait sa parution imminente et que les gazettes en faisaient leurs choux gras. Craignant de devoir attendre une décennie supplémentaire le prochain opus, l'Académie Goncourt s'est empressée de le couronner.

«Je crois que je m'améliore, plaisante l'écrivain, car je n'ai mis que sept ans à publier ce Royal Romance. Avec seulement deux mois de retard sur la date prévue! Non, franchement, je ne comprends pas: les gens s'imaginent que je passe l'année entière à écrire! En fait, depuis le Goncourt, j'ai beaucoup voyagé, j'ai vécu ma vie, j'ai commencé à écrire deux romans, dont celui-ci. Alors? Le cinéaste Terrence Malick n'a réalisé que cinq films dans sa carrière et ça ne lui a pas trop mal réussi!»

L'auteur est tout de même conscient de ce petit travers, et il admet qu'il pourrait fort bien «passer une année entière à Paris à voir des amis, sans écrire une ligne», raison pour laquelle il se retire volontiers dans une vaste maison située entre Lille et Dunkerque, où il n'y a rien d'autre à faire que de travailler. Le héros-narrateur de son roman, un certain Daniel Flamm, est lui aussi un auteur qui a du mal à conclure, et qui a passé une partie de sa vie dans des imprimeries, à modifier et compléter les épreuves d'un roman en retard, tandis que son éditeur s'arrachait les cheveux.

«Mais tout ça, c'est fini, balaie Weyergans d'un geste de la main. Aujourd'hui, il y a l'internet, et des fichiers qu'on peut ajouter ou changer jusqu'à la dernière minute. Il est vrai que lorsque le film est tiré, on ne peut plus rien modifier, sauf à grands frais...»

Comme il est également célèbre pour son goût des digressions, cela le met sur la voie de la Cameron, monstre mythique de l'imprimerie moderne, qui avale des tonnes de papier pour les transformer en bouquins imprimés, reliés, enveloppés de plastique: «Une machine tellement précise et automatisée, soutient-il, qu'on y a prévu des toilettes pour que les techniciens ne s'éloignent pas une minute.»

Montréal

Dans Royal Romance, les digressions ont mené le narrateur à Montréal pour un contrat de mercenaire de l'édition. Il finit par s'y installer pour de longs séjours. Royal Romance est aussi le cocktail préféré de Justine Comtoise, une comédienne montréalaise un peu folâtre avec qui il entretient une liaison intermittente de part et d'autre de l'Atlantique, et principalement à Montréal même. Daniel Flamm - aucun rapport avec l'auteur! - est avec les femmes du genre butineur et volage. Ce qui donne lieu à de nouvelles digressions, d'ordre sentimental: il n'y a pas que Justine, il y a aussi Astrid, la future ex-femme, il y a Florence, la nouvelle passion, il y a Caro et Margot, brièvement rencontrées à Montréal. «Mon narrateur ne se conduit pas très bien avec Justine, c'est vrai, admet l'auteur, mais moi, je me conduis de manière beaucoup plus sympathique avec les femmes...»

Mais le héros principal de cette histoire, c'est peut-être la ville de Montréal, dont Weyergans connaît tous les recoins. Il y a fait plusieurs longs séjours: «Une année, j'y suis arrivé en octobre et je suis reparti en mai. Pour moi, Montréal, c'est d'abord l'hiver: plus il y a de la neige, plus je suis heureux.»

À Montréal, son héros navigue entre l'Express, Schwartz, le Shed Café; il raffole du Lux, dont il regrette amèrement la disparition. Il a aimé «cette ville un peu floue, où [il trouvait] une illustration de la démocratie dans le côté déglingué des rues, les successions de terrains vagues et d'immeubles neufs, les gratte-ciel et les vieilles façades avec leurs escaliers...»

Les femmes montréalaises ont-elles été pour quelque chose dans l'attrait qu'il a pour la ville? «Ah, c'est un sujet très délicat sur lequel il convient de rester discret», dit-il aussitôt. Le narrateur de Royal Romance, bien entendu, ne saurait être confondu avec son créateur. François Weyergans parle beaucoup de lui-même dans ses livres, mais les digressions permettent de brouiller les pistes. Pour le plus grand plaisir de ses lecteurs.

Royal Romance

François Weyergans

Julliard, 207 pages