Un premier roman, un premier titre, un premier tome, signé Ariane Gélinas, vient de faire son apparition dans la nouvelle collection Lycanthrope des éditions Marchand de feuilles, qui se destinera à la gloire du roman gothique «made in Québec». Transtaïga, dans la série Les villages assoupis, célèbre tout en noirceur nos villages fantômes, beaucoup plus nombreux qu'on le pense dans la Belle Province qui ne respecte pas sa devise «Je me souviens».

On est forcément quelqu'un de spécial lorsqu'on a décidé de faire sa maîtrise en littérature sur Alexis-Vincent-Charles Berbiguier de Terre-Neuve du Thym (1765-1851), auteur de mémoires totalisant 600 pages sur sa relation paranoïaque avec les farfadets. «Il a écrit ses mémoires pour dénoncer les persécutions dont il était l'objet de la part de farfadets invisibles, explique Ariane Gélinas, non sans rire. Quand j'ai découvert ce fou attachant, je me suis dit que je devais absolument travailler là-dessus. Le lire peut d'ailleurs rendre un peu fou...»

Cela a donné le ton à son doctorat qu'elle prépare à l'UQTR sur le thème du pacte avec le diable dans l'oeuvre de Frédéric Soulié, un autre auteur français du XIXe. Ariane Gélinas est aussi lectrice des Radcliffe, Ray, Agapit, Dorémieux, et, du côté québécois, de Claude Bolduc, Frédérick Durand, Martine Desjardins et Esther Rochon, ce qui explique d'une certaine façon l'étrange univers qu'elle nous offre dans Transtaïga. Un premier roman dans la veine gothique, où l'héroïne, Anissa, retourne à Combourg réclamer son héritage de sorcière transmis par sa grand-mère, en semant les cadavres sur sa route. Combourg, village perdu mais protégé par un cimetière rempli de morts provoquées précisément pour créer cette frontière protectrice. Anissa n'a pas la culpabilité facile, disons. «On comprend que sa psychologie est tourmentée et qu'elle applique les principes de sa grand-mère», note l'auteure.

Voilà pour l'histoire, mais c'est la toile de fond qui donne toute l'atmosphère à ce roman fantastique. Mis à part Combourg, création d'Ariane Gélinas pour les besoins de sa fiction, tous les villages fantômes mentionnés dans son livre ont existé: Gagnon, Labrieville, Fort George, Saint-Jean-Vianney... Si cela ne vous dit rien, c'est normal. La plupart des villages fantômes du Québec ont été rasés. «Dans mes recherches, j'ai constaté que les villages sont plus préservés dans l'Ouest américain. Ici, beaucoup de villages appartenaient à des compagnies et une fois l'échec commercial, on les rasait. Un peu comme si la mémoire était enfouie.»

Ariane Gélinas, née en 1984 à Grandes-Piles dans la Mauricie, est fascinée par les petits villages qu'on peut découvrir en s'aventurant loin des sentiers battus de notre territoire. «Je trouve que ce sont des lieux qui gagnent à être explorés, riches en histoire.» Et cette route qui donne le titre à son roman, la Transtaïga, a tout pour être être mythique: elle fait 666 kilomètres, le chiffre de la bête! «C'est certain que dans mon livre, l'idée des grands espaces est vraiment importante. Parce que le Québec est tellement grand, les routes ne se rendent pas partout encore. Je voulais rendre compte de cela dans mon livre, ainsi que de la forêt.»

Les villages assoupis sera une trilogie, dont le deuxième tome est déjà en phase de correction. On n'y retrouvera pas la terrifiante Anissa, puisqu'il s'agit d'une trilogie «thématique», plus qu'une suite. «Mais le même esprit va se retrouver dans les trois tomes, les villages fantômes seront au premier plan, et on en découvrira d'autres. Je ne pouvais me résigner à n'en choisir qu'un.»

Et cette fois, on promènera dans les cimetières de l'île d'Anticosti...

Transtaïga - Les villages assoupis - tome 1

Ariane Gélinas

Lycanthrope, 151 pages

Liberté et les religions

Cette nouvelle génération d'écrivains qui sortent du Plateau Mont-Royal pour nous faire découvrir des zones inexplorées du territoire québécois est un phénomène assez notable pour que la revue Liberté en fasse le thème de son numéro 295 intitulé Les régions à nos portes. Des textes de Raymond Bock, Samuel Archibald, William S. Messier et Mathieu Arsenault abordent le sujet par différents angles, de ce passage brutal de l'identité canadienne-française à l'identité québécoise, au « néoterroir «, en passant par les nouveaux visages du coureur des bois, jusqu'à la ruralité « trash «. Une excellente façon de découvrir les obsessions et les questionnements d'une nouvelle garde de notre littérature, les yeux posés sur les vastes horizons d'un pays insaisissable dont les contours ne sont pas encore définis.

Les régions à nos portes, revue Liberté, numéro 295