Jean Bédard est fasciné par la philosophie de la fin du Moyen Âge. Et pas n'importe laquelle: la série de libres-penseurs qui, selon lui, préfigurent les féministes et les anticonformistes de notre ère. Son nouveau roman, Marguerite Porète, suit le parcours d'un compagnon de la philosophe française du XIIIe siècle. Au départ avocat de l'Inquisiteur, il en vient à être séduit par le mouvement des «béguines», des femmes qui refusaient le mariage tout autant que la chasteté des religieuses.

Cet ouvrage de Jean Bédard fait partie d'une série de biographies romancées de philosophes du même genre et de la même époque, Maître Eckhart (prix Jovette Bernier en 1998), Comenius ou l'art sacré de l'éducation et Nicolas de Cues. Marguerite de Porète a notamment inspiré le dominicain allemand Eckhart von Hochheim.

Au fil des pages, Jean Bédard expose en termes simples les tensions entre l'Église inquisitrice et les béguines, qui ont fini par être condamnées comme hérétiques. Marguerite Porète a été brûlée vive en 1310 - elle était née entre 1250 et 1260 dans le nord-est de la France. Sa fascination pour Marguerite - «la liberté dans toutes les directions de l'espace et du temps», la «grand-messe de la nature» dans un passage érotique - est palpable. Mais elle se teinte çà et là d'une désagréable impression qu'il attaque l'Église d'aujourd'hui en lui juxtaposant celle d'alors, et qu'il règle ses comptes avec ses professeurs du collège classique en attaquant la scolastique (saint Thomas d'Aquin). Dans un passage intrigant, le héros explique que contrairement à Ulysse, qui s'est enchaîné au mât de son navire pour résister aux sirènes, il a plongé dans la mer pour rejoindre l'appel du désir.

L'écriture est fluide, formant en quelque sorte une version impressionniste du premier tome des Rois maudits de Maurice Druon, qui traite aussi de la chasse aux hérétiques par les puissants du début du XIVe siècle. Un autre livre de Jean Bédard, l'essai Le pouvoir ou la vie, s'attaquait d'ailleurs aux abus inhérents, selon lui, aux relations de pouvoir. Son précédent roman, La femme aux trois déserts, opposait la liberté au pouvoir et au progrès dans l'Amérique du XIXe siècle.

À la fin du livre, une quinzaine de pages plus théoriques sont superbement vulgarisées - Jean Bédard a obtenu son doctorat en philosophie sur le tard, en 2004, avec une thèse sur Comenius. Il y livre notamment une charge contre l'«amour courtois» (Pétrarque, Dante), jugé trop abstrait. Détail intéressant, l'amour courtois est un ancêtre du romantisme allemand, qui a lui-même mené à l'environnementalisme - et Jean Bédard est lui-même un environnementaliste convaincu, ayant fondé près de Rimouski une ferme «juste, équitable et écologique», Sageterre.

L'exploit de Jean Bédard est d'en arriver à un roman sans aspérité, qui se lit d'un coup, tout en conservant un certain côté didactique. Et ce, malgré les convictions idéologiques qui sous-tendent ses choix de personnages.

Marguerite Porète

Jean Bédard

VLB, 357 pages

*** 1/2