Avec Une mort comme rivière, François Lévesque dit adieu à Francis, son personnage fétiche qui, comme la créature de Frankenstein, a fini par échapper à son créateur. On ne va pas s'en plaindre, puisque cela nous aura donné le cycle Les Carnets de Francis, trois romans d'une noirceur absolue, tous du point de vue d'un garçon à qui rien n'a été épargné.

«Francis, c'est mon Monsieur Ripley à moi», avoue candidement François Lévesque, qui se réclame de Patricia Highsmith comme influence. Elle n'est pas seule à alimenter la source d'inspiration de Lévesque, qui dit en devoir beaucoup aussi à Stephen King, affectionnant comme lui les ambiances glauques des petites villes isolées.

«Saint-Clovis et Sainte-Sybile, ce sont un peu mes Castle Rock et Derry!» Tout aussi important, sinon plus: le cinéma. François Lévesque, critique au Devoir et à Mediafilm.ca, adore truffer ses romans de références cinématographiques, par le truchement de son personnage Francis, un maniaque des films d'horreur.... Et Une mort comme rivière est un hommage direct à Polanski, plus précisément ses deux films qui abordent de façon géniale la folie: Le locataire et Répulsion.

Il faut attacher sa tuque pour se rendre jusqu'au bout du dernier roman de François Lévesque. L'auteur s'est fait plaisir en explorant à fond la folie de son personnage et le lecteur aura l'impression de devenir fou lui-même en suivant la spirale démentielle de Francis. «La deuxième partie du roman est ambitieuse. Je sais que ça ne plaira pas à tout le monde, mais j'avais envie de le faire. Je voulais essayer de traduire un épisode psychotique du point de vue de celui qui le vit. Toutes les époques et les traumatismes se mélangent dans la tête de Francis.»

Et quel mélange! En trois romans, François Lévesque n'aura rien épargné à son personnage, dont la route est jonchée de cadavres et la tête hantée par les morts, en plus d'avoir une filiation meurtrière. Il lui est impossible de revenir dans la petite ville de Saint-Clovis sans que quelqu'un meure et son passé trouble le rend tout le temps suspect. C'est pour ça qu'on aime Francis: il est tellement fucké que le lecteur ne peut lui faire confiance, tout en ayant de la compassion pour lui, ce qui instaure un climat paranoïaque et angoissant dans tous les romans. «J'ai beaucoup de sympathie pour lui, probablement trop, dit en souriant son créateur. C'est un sociopathe qui a un bon fond.»

L'intimidation

Francis est né d'un désir cathartique, admet François Lévesque, qui dit avoir beaucoup mis de lui-même dans ce personnage lors de l'écriture du premier tome, Un automne écarlate. «L'un des thèmes de ce roman est la résilience, et mon but avec ce roman-là était de montrer un cas de résilience qui aurait mal tourné.»

L'autre thème, c'est l'intimidation. Une plaie dont François Lévesque a personnellement souffert. «Quand Un automne écarlate est sorti, il y avait en même temps l'histoire de ce petit gars du Saguenay qui avait disparu, et qu'on n'a toujours pas retrouvé. Je trouve ça extrêmement triste, les conséquences de l'intimidation à l'école. Pour l'avoir vécu, je sais qu'on ne soupçonne pas toute la détresse qu'un jeune peut ressentir. Je peux comprendre qu'on en vienne à fuguer ou à penser au suicide. Chaque fois que je vois un reportage là-dessus, j'ai le motton. Je me trouve chanceux d'être passé au travers. Je suis heureux d'avoir transformé ça en force.»

Mais voilà, ce qui devait être une sorte d'exorcisme pour François Lévesque est devenu une drogue. Depuis 2008, il écrit un roman par année. Il n'avait pas prévu donner suite aux mésaventures de Francis, mais sa créature ne voulait plus le lâcher. Nous l'avons retrouvé dans Les visages de la vengeance, que Lévesque considère comme son «slasher pour ados» dans la série, et maintenant dans Une mort comme rivière, qui vient boucler «toutes les boucles narratives» dans une finale particulièrement délirante. Car la particularité de cette série est que nous suivons un personnage de l'enfance à l'âge adulte, et cela dans trois romans qui ont des constructions très différentes - d'ailleurs, il n'est pas conseillé de les lire dans le désordre: Francis est un personnage en évolution.

Mais cette fois, François Lévesque confirme qu'il en a fini avec lui. «J'ai vraiment réglé quelque chose. Pour l'instant, je n'ai aucune envie, aucun désir de le retrouver, je lui dis bonne nuit! Mais en même temps, si dans 10 ans j'ai une idée de Francis, je ne vais pas m'empêcher de l'écrire.»

Car on le sait bien, les croque-mitaines ne meurent jamais...

Une mort comme rivière

François Lévesque

Alire, 370 pages