Un huis clos aux accents «hitchcockiens», voilà ce que propose Larry Tremblay dans son nouveau roman, Le Christ obèse, dans lequel un homme solitaire s'improvise le sauveur d'une victime qui n'en est pas une. Troublant.

Pourquoi la souffrance du Christ serait-elle meilleure qu'une autre? C'est la question à l'origine du roman de Larry Tremblay, qui confesse le besoin d'avoir «plusieurs projets littéraires sur le feu» pour stimuler son imaginaire. «J'ai essayé d'installer dans ce roman une différence entre la douleur et la souffrance, comme si la souffrance avait une valeur morale, alors que la douleur est plus installée dans le corps, qu'elle est plus physiologique, et que s'il n'y a pas de projet moral, la douleur reste douleur.»

Larry Tremblay, l'un de nos plus célèbres dramaturges, qui a marqué le théâtre avec des pièces comme The Dragonfly of Chicoutimi, Le ventriloque ou Abraham Lincoln va au théâtre, dit aimer le «contrepoint», et travailler en même temps à l'écriture romanesque, l'essai ou la poésie. «Je suis plus considéré comme un dramaturge, c'est vrai, mais je me vois comme un écrivain, et un écrivain, ça écrit!»

Il nous parle au téléphone avec 11 heures de décalage puisqu'il est encore une fois en Inde, sorte de patrie spirituelle pour lui, là où il continue d'approfondir le kathakali, forme très physique du théâtre indien. Mais c'est le catholicisme qui domine la conversation, car on ne se libère pas aussi facilement de son enfance...

«Je suis né à Chicoutimi dans les années 50, j'ai donc vécu le catholicisme de façon intense dans ma famille. Évidemment, on l'a rejeté dans les années 60 et 70, mais il en reste toujours des vestiges, des réflexes. J'ai l'impression qu'avec ce roman, j'ai voulu revisiter cela de façon totalement personnelle, dans un système d'opposition entre le bien et le mal, la maigreur et l'obésité, le féminin et le masculin, l'homme et l'animal, la souffrance et la jouissance.»

Une vision particulièrement tordue de ces dualités est à l'oeuvre dans Le Christ obèse. Edgar, le personnage principal, vieux garçon complètement renfermé sur lui-même, n'a pas connu son père et a été, au propre comme au figuré, étouffé par sa mère... Lorsqu'il décide de venir en aide à une jeune femme agressée dans un cimetière, en la ramenant chez lui pour la soigner, son dévouement prend une tournure perverse, dans une relation aussi fusionnelle que confusionnelle. Le sauveur devient pratiquement bourreau, jusqu'à ce que l'on découvre que la victime n'en est pas vraiment une -Larry Tremblay maintient le suspense jusqu'à la fin.

Tout cela ne serait-il pas une illustration des dommages collatéraux du catholicisme, en quelque sorte? C'est en tout cas une vision sombre de la part d'un écrivain ayant grandi à l'ombre des soutanes, et qui ne retourne probablement pas régulièrement en Inde pour rien. «La première fois que j'y suis allé en 1975, ce qui m'a le plus frappé dans les temples - et je ne suis pas mystique du tout - c'était de voir qu'on pouvait avoir un rapport au religieux totalement à l'opposé de ce que j'avais vécu enfant. J'ai connu qu'il fallait souffrir, qu'il fallait être puni, qu'il fallait demander pardon. J'ai vu qu'on pouvait vivre la religion de façon festive. Et il y a en Inde tout un Panthéon de dieux à moitié nus, une sexualité inscrite dans la mythologie. C'est plus proche de la vie, alors que le christianisme est plus proche de la mort, pour moi. C'est un système complètement différent.»

L'héritage d'Edgar est lourd, voire miné, et rempli de manques. Excité par la douleur, hanté par sa mère, il transfère sur le corps abîmé qu'il a recueilli tous ses fantasmes de rédemption et d'amour infini. Le résultat sera sinistre... Le catholicisme est-il un terreau fertile pour les écrivains qui ont développé leur imaginaire dans ses filets?

«Bonne question! Moi, je pense que tout ce qu'on a vécu dans l'enfance, c'est notre trésor, c'est là-dedans qu'on va puiser pour imaginer des choses dans le même sens, mais plus souvent contre. Je dirais qu'en vieillissant, on va chercher encore plus loin dans notre enfance, on dirait que les extrêmes se touchent. J'ai 57 ans et j'ai l'impression que ce que j'ai vécu enfant devient encore plus fort, alors qu'à 20 ans, c'était moins important. C'est ce qui me fascine ces temps-ci. Dans le fond, je n'écris pas une histoire pour écrire une histoire, j'écris pour jeter des réflexions. Jusqu'où peut-on aimer?»

Le Christ obèse

Larry Tremblay

Alto, 160 pages