Premier roman d'un homme qui gagne sa vie avec les mots, Tous les corps naissent étrangers est une des belles surprises de cette rentrée d'hiver.

Il s'appelle Jean-Jacques Darrieux. Il est fondateur et président du Cabinet Victoria, une boîte de relations publiques qui roule sur l'or. Millionnaire, cupide, sans coeur, antipathique au possible, le narrateur du premier roman d'Hugo Léger est un personnage pas mal plus complexe qu'il n'y paraît à première vue.

Père d'un garçon très lourdement handicapé, il vit seul depuis que sa femme a pris la poudre d'escampette, incapable d'assumer son rôle de mère dans ces conditions. Si Darrieux réussit à tenir la tête hors de l'eau, c'est grâce à l'argent, avec lequel il entretient «un rapport, disons, fusionnel». J'adore l'argent, dit-il, et l'argent me le rend bien. [...] On ne se fatigue jamais de l'argent. On peut s'écoeurer d'une maison, d'une voiture, d'une femme, voire de soi-même, mais jamais de l'argent.»

Tous les corps naissent étrangers est son premier roman, mais Hugo Léger est loin d'être un jeune premier. Depuis des années, il gagne sa vie avec les mots. Après avoir été journaliste (Le Devoir, L'actualité...), il a fait le saut dans le merveilleux monde de la pub. Depuis plusieurs années, il est directeur de création chez Bos, cette grande agence à laquelle on doit des campagnes célèbres (Honda, Jean Coutu, Fido, Hydro-Québec, Lotto Max, Sports Experts, etc.).

«Je travaille beaucoup dans l'instantanéité, explique l'homme de 53 ans. Toute ma vie de publicitaire est faite de 30 secondes, de 60 secondes, de courts messages. J'avais envie d'aller plus dans le marathon, d'approfondir certaines choses.» Et de témoigner, ajoute-t-il non sans humilité, de son époque. «Bien sûr, il y avait des raisons purement égocentriques -j'avais envie d'être publié, d'écrire un roman, et l'horloge biologique tic-taquait. Mais je voulais aussi être en prise avec la réalité d'aujourd'hui.»

Alors il a commencé à écrire un midi, «tout bêtement». Et la machine s'est emballée. «Le roman m'a porté. Je me suis vraiment laissé guider par cette histoire et, étrangement, tous les morceaux se sont assemblés.» Le destin de ce personnage, qui n'accepte pas plus la défaite que la faiblesse, s'est mis en place.

«Pour moi, ce livre-là est un roman sur l'argent, sur les sentiments qu'il provoque, explique Hugo Léger. Sur la quête, vaine, de la perfection, dans un monde qui est résolument dominé par les apparences. Et sur cette espèce de volonté de gagner à tout prix en prenant tous les moyens qui soient, honnêtes ou malhonnêtes.»

Argent et actualité

Qu'on ne s'y méprenne, si Hugo Léger baigne dans un monde aussi férocement compétitif que celui de son personnage, il n'a pas écrit un nouveau 99 francs (ce roman de Beigbeder qu'il a d'ailleurs lu et beaucoup aimé).

«Mon personnage est dans le domaine des relations publiques, dit-il. On est dans la même sphère, c'est vrai, celle des communications où on contrôle le message, où on ne montre que le meilleur côté des choses. Mais ce n'est pas ce qui m'a inspiré, c'est plutôt l'actualité. Depuis quatre ou cinq ans, chaque semaine, les journaux font état de scandales financiers, de gens corrompus, qui ont perdu complètement le sens éthique à cause de l'argent. On a diabolisé au maximum les Vincent Lacroix et autres Bernard Madoff, et à raison! Mais je me disais que même ces crapules ne pouvaient pas être complètement, totalement vilaines. Je trouvais intéressant de creuser ce genre de personnage.»

Ainsi, son Jean-Jacques Darrieux a ses failles, son humanité, qui passent beaucoup par son fils handicapé, cette tache dans le monde idéal qu'il tente de construire. «C'était pour moi une façon de montrer que la quête de la perfection est une quête futile et vaine. Et qu'on ne pourra jamais tout contrôler.»

Il y a, dans ce premier roman qui ne sera pas le dernier, nous assure-t-on, des scènes très fortes. Comme ces passages où se révèle le passé trouble de Darrieux,son enfance dans une famille dysfonctionnelle, auprès d'une mère alcoolique, irresponsable, folle, d'un père mou, médiocre, «toujours en retard, au travail, à ses rendez-vous, à la gare, à la maison, dans la vie en général». «Même réunis, nous n'étions pas unis pour deux sous, nous étions collectivement seuls.»

Le portrait pourrait être triste, sombre, mais heureusement, il y a de la lumière à l'horizon,une sorte de fantaisie qui s'infiltre, joyeuse et claire comme une fanfare qui passe. «Quand le tapis commence à te glisser sous les pieds, conclut l'auteur, on ne peut faire autrement que de revenir à des valeurs plus fondamentales. Appelons ça les valeurs du coeur, qui sont essentielles, à la base même de notre vie en société.»

Tous les corps naissent étrangers

Hugo Léger

XYZ, 218 pages

Photo: XYZ

Tous les corps naissent étrangers d'Hugo Léger.