Alexandre Soublière n'a que 26 ans et son premier roman, Charlotte before Christ, suscite des réactions passionnées qui animent cette tranquille rentrée hivernale. «J'espérais que ça fasse cet effet-là», dit le jeune homme, qui vient nous rencontrer dans un café du Plateau malgré la pneumonie qui l'affaiblit et lui donne une apparence encore plus fragile.

Charlotte before Christ, c'est l'histoire de Sacha et Charlotte, tout jeunes adultes qui s'aiment à la folie, se querellent, rompent, se re-aiment. «J'ai écrit ce livre alors que je sortais d'une rupture. C'est cliché, mais j'essayais de comprendre, d'éclairer la frustration.»

Surtout, le jeune homme était très en colère «contre tout et rien», en «crise d'adolescence tardive». Son ras-le-bol se traduit dans ce roman urbain dont le troisième personnage est Montréal, la ville où il a vraiment «trouvé sa maison» lorsqu'il a quitté sa Beauce natale pour venir étudier à l'université.

«Je me sentais vraiment comme Sacha quand j'ai commencé à l'écrire.» Sacha qui est replié sur lui, fâché, enfermé dans sa bulle avec Charlotte, rejetant la faute sur tout le monde. «Il se réfugie dans l'amour parce qu'il a peur de l'extérieur, de la maladie, de ne pas être beau... La peur est une partie importante de l'amour. Mais est-elle essentielle? Je n'ai pas de réponse à ça.»

Alexandre Soublière se voit d'abord comme un raconteur d'histoires et d'émotions et estime que sa vocation est de «faire sentir des affaires». «Je n'aime pas beaucoup la technique, ni en littérature, ni en cinéma, ni en musique. J'aime quand c'est cru et vrai.» Cru, son livre l'est beaucoup, mais ce n'est pas cet aspect qui a fait des vagues. Ce qui vient accréditer la théorie qu'il y expose, soit que la saturation face à la violence et le porno est telle que plus rien ne choque.

Ce qui a fait plutôt parler, c'est sa décision d'utiliser sans complexe le langage «texto», dans un mélange de français et d'anglais rarement poussé aussi loin. «Je prie, je crie, je chain-smoke»: les exemples sont nombreux et sont utilisés tant dans les dialogues que dans la narration. «La réalité est comme ça, et il faut arrêter de se fermer les yeux. Je parle comme ça avec mes amis, les jeunes partout au Québec parlent comme ça.»

Il est donc allé à fond dans ce langage dont il aimait le rythme et le style. «C'était logique parce que Sacha et Charlotte parlent comme ça. Ce ne sera pas nécessairement la langue de mon prochain livre.» Mais non, Alexandre Soublière ne s'inquiète pas pour l'avenir de la langue française, dont il ne veut surtout pas être le «gardien». «La langue n'est pas cotée à la Bourse, parfois elle gagne des points, parfois elle en perd, analyse-t-il. C'est plus profond que ça. Et ça dit peut-être aussi qu'il y a des trucs qui ont échoué. Moi, j'ai appris le français tout croche, au secondaire je n'ai pas lu un seul livre. Il fallait que j'aille fouiller dans la bibliothèque de ma mère parce que ça m'intéressait.»

Rupture

Même s'il parle de sa génération - en exagérant certains traits -, Alexandre Soublière refuse d'en être le représentant. Mais il ne la juge pas non plus. «Je suis pour la liberté individuelle, tant que c'est légal! Les gens font ce qu'ils veulent, s'ils ont envie de dater sur Facebook et de ne plus avoir de relations humaines, ils ont le droit. C'est facile d'avoir peur de ça, moi je l'embrasse.» Bref, la rupture avec l'héritage boomer, qu'on sent en filigrane dans son livre, il l'assume totalement. «Je ne veux rien enlever à la Révolution tranquille, mais pour moi ce n'est pas l'année zéro du Québec comme on nous la présente souvent.»

Habité par une urgence d'écrire - «Je ne sais rien faire d'autre de toute façon» -, Alexandre Soublière aime brasser la cage. «J'aime la littérature qui provoque. Sinon, ça ne m'intéresse pas.» Il réfute le qualificatif de nihiliste - «Sacha et Charlotte ont des rêves, quand même. Il y a une touche d'espoir, bien cachée» -, comprend la parenté qu'on lui prête avec Bret Easton Ellis tout en trouvant la comparaison facile et courte, et se sent près d'Hubert Aquin «à cause de son côté dépressif».

Il l'avoue, il est plutôt pessimiste et en a contre le discours du bonheur à tout prix. «On n'est pas obligé d'être heureux, en amour, en santé. Quand on ne l'est pas, on se sent loser, comme si c'était notre faute.» Pas facile d'être jeune... «Là je suis moins en guerre, mais c'est vrai que je vois la vie en noir. On peut peut-être s'améliorer en vieillissant, mais c'est difficile de changer la perception que les gens ont de nous.» Il fait une pause, l'entrevue tire à sa fin. «Je suis jeune, je ne sais rien. Mais j'aimerais rester naïf.»

Charlotte before Christ

Alexandre Soublière

Boréal, 224 pages