Connaissez-vous l'écrivain et penseur public H.G. Wells? Si oui, c'est sûrement par ses oeuvres de science-fiction comme La machine à explorer le temps ou bien La Guerre des mondes. Le pauvre Wells, avant sa mort, avait peur qu'on ne se souvienne de lui que pour ses livres d'anticipation. Mais à la fin du XIXe siècle, et jusqu'aux années 20, Wells faisait la pluie et le beau temps dans la vie intellectuelle et littéraire britannique. Il voyageait aux États-Unis, en Union soviétique: c'était l'écrivain le plus célèbre de la planète.

Célèbre et scandaleux aussi, car il prêchait à l'église de l'amour libre. Il s'est marié deux fois, a eu d'innombrables maîtresses et amantes, des enfants légitimes et naturels. C'était donc un sujet parfait pour une biographie romancée, et David Lodge, écrivain britannique, s'est mis à la tâche.

La vie amoureuse de Wells est le centre du livre, mais bien sûr les domaines public et privé sont inséparables. Jeune, la pauvreté le talonnait; sa petite taille et sa santé chancelante sont les échos d'une jeunesse vécue dans le besoin. Arrivé parmi les élites de sa société -surtout devant les femmes et les filles des élites- Wells a envie de séduire, de posséder par l'esprit et le corps, d'être aimé. Le fait d'être bien membré, selon David Lodge, n'était pas un désavantage.

Comme tous les bons personnages, Wells est une série de paradoxes. Cet homme aux grands appétits épouse, coup sur coup, deux femmes «frigides» (pour utiliser le vocabulaire de l'époque). Il croit à l'amour libre, mais pique des crises monumentales lorsqu'une de ses maîtresses trouve refuge chez un concurrent. Il prône l'émancipation des femmes, mais découvre, avec horreur, que la belle et jeune Amber Reeves, avec qui il vit une passion extraconjugale, ne sait même pas faire cuire un oeuf.

Recherche colossale

Wells a vécu tout le désordre du XXe siècle: changement du statut de la femme, la Révolution russe, deux grandes guerres, la crise économique des années 30. Socialiste au Fabian Society qui voulait changer l'Angleterre en société socialiste, mais en douce, Wells réussit à se mettre tout le monde à dos. Et il n'a pas tout le temps raison. C'est lui qui invente le slogan «La guerre qui mettra fin à la guerre» pour parler de la Première Guerre mondiale.

Derrière ce roman de David Lodge se trouve une véritable montagne de recherches. On apprendra tout sur Wells et son époque. La querelle entre lui et l'écrivain Henry James est décortiquée, accompagnée d'une correspondance volumineuse. Et parfois, une voix anonyme arrive dans les pages du roman pour interroger Wells; cette voix est celle d'un Inquisiteur qui reproche au Grand Homme toutes ses faiblesses morales, les femmes trompées et les livres trop vite écrits. On dirait la voix de l'auteur lui-même -sauf que Lodge a l'intention de redonner à la carrière de Wells un deuxième souffle. À la toute fin du livre, après sa mort, l'écrivaine Rebecca West, une de ses conquêtes, espère que «peut-être un jour brillera-t-il dans le firmament à nouveau».

Un homme de tempérament

David Lodge

Traduit par Martine Aubert

Rivages

706 pages

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