À l'invitation d'Isabelle Daunais et de François Ricard, huit écrivains québécois ont accepté de réfléchir sur leurs visions du roman, avec pour résultat un collectif fascinant, où l'on découvre qu'il y a autant de définitions du roman qu'il y a d'écrivains.

Peut-être parce que la littérature québécoise est jeune, ou alors que l'essai demeure un parent pauvre de l'édition québécoise, toujours est-il qu'il n'existe pas ici une forte tradition de réflexion sur l'art du roman comme on la trouve ailleurs, soulignent Isabelle Daunais et François Richard dans la préface de La pratique du roman. Dans le cadre de leurs fonctions au groupe TSAR (Travaux sur les arts du roman) du département de langue et littérature française de l'Université McGill, ils ont organisé une journée de conférences sur la pratique du roman en mars 2011, à laquelle huit écrivains québécois ont participé, ce qui a mené à ce collectif chez Boréal.

Avant tout, ils voulaient entendre la réflexion libre et personnelle de «praticiens» du roman, et non celle de critiques ou de spécialistes. Ainsi, nous avons les textes de Gilles Archambault, Nadine Bismuth, Trevor Ferguson, Dominique Fortier, Louis Hamelin, Suzanne Jacob, Robert Lalonde et Monique LaRue, qui ont chacun leur façon bien à eux de penser le roman. Des réflexions qui touchent les rapports entre le roman et l'Histoire (Hamelin), le désir et le dégoût du roman (LaRue), l'importance du contexte (Ferguson), de l'émotion (Archambault), le roman comme espace libre de jugement moral (Bismuth) et l'art de reconnaître le crime (Jacob) ou de pêcher le noyé (Lalonde)...

Cette diversité des textes est précisément ce qui a frappé François Ricard. «Ce sont tous des textes extrêmement personnels, il n'y a pas de groupe ou d'école, personne ne défend un programme, mais chacun présente son propre travail.»

Selon François Ricard, deux grandes tendances se dégagent dans ce collectif, plus particulièrement abordées dans le texte de Dominique Fortier: les romans «du dedans», plus intimistes, et les romans du «dehors», dans lesquels l'imagination serait plus libre. Ce n'est pas un affrontement ni un jugement, mais une constatation.

«Dans les deux cas, note François Ricard, le roman devient une entreprise de connaissance. La connaissance de soi, la connaissance du monde. Ce sont les deux grandes orientations du roman actuel.» L'opposition entre la fiction et l'autofiction, ou le réel et l'imaginaire, est un faux débat, à son avis. «Les romanciers nous montrent que leur préoccupation, c'est la réussite artistique. Qu'est-ce que le roman nous permet de découvrir? Sur le plan artistique, on ne peut pas répéter, il faut que la forme, la langue, l'organisation du livre fassent découvrir quelque chose de neuf. L'aventure d'un romancier est toujours double; la recherche du nouveau dans le contenu et sur le plan formel.»

La banalisation

Les crises sont particulièrement révélatrices, voire novatrices, dans le domaine du roman, estime François Ricard, qui rappelle qu'à la fin du XIXe siècle, on croyait le genre dépassé, et que le Nouveau Roman a voulu rompre brutalement avec les vieux modèles. Aujourd'hui, le roman est sans aucun doute le genre dominant de la littérature, alors qu'autrefois, c'était la poésie et le théâtre. Selon Ricard, cela s'explique entre autres parce qu'il s'agit de la forme littéraire la plus démocratique, pour le meilleur et pour le pire.

Qu'est-ce qui menace maintenant le roman? «La banalisation, répond François Ricard. Comme dans tous les arts. Ce qui a déclassé la poésie, c'est la banalisation, la surabondance, l'absence totale de goût et de hiérarchies... La production est tellement abondante, tout est traduit, tout circule, il n'y a presque plus de roman national, ce qui rend très difficile de faire des distinctions.»

La pratique du roman

Collectif sous la direction d'Isabelle Daunais et François Ricard

Boréal, 134 pages