Alors que certains quartiers de cette ville qui «est hockey» réclament un entraîneur capable de parler français, l'occasion est belle -surtout avec l'équipe au fond du classement, diront certains- de réfléchir sur la place qu'occupe ici le Club de hockey Canadien comme «fait social».

L'ouvrage collectif Le Canadien de Montréal - Une légende repensée, paru avant les Fêtes aux Presses de l'Université de Montréal, rassemble des textes de différentes approches analytiques pour présenter, expliquer, le Canadien comme symbole national, dépositaire de la tradition, corporation néolibérale ou, entre la Montagne et le pont Jacques-Cartier, comme vecteur d'identité urbaine. Touchant un sport -et une société- où la théorie apparaît toujours comme un peu suspecte, cet ouvrage savant n'en intéressera pas moins les partisans qui voudraient «s'élever ensemble» au-dessus des échanges des réseaux médiatiques et sociaux sur la question de qui devrait «jouer à la pointe sur le power play»...

Propos quotidiens qui, sur un blogue ou au bureau, ne sont en eux-mêmes ni bons ni mauvais, explique Fannie Valois-Nadeau dans Le Canadien de Montréal comme objet populaire. Après analyse des interventions des fans du Canadien sur le site de RDS, la doctorante de l'UdeM conclut que le Canadien n'apparaît pas comme «un symbole homogène», mais que ses représentations sont liées «à la constitution d'une identité collective, qu'elle soit montréalaise, québécoise ou pancanadienne». Souvent, lit-on aussi, l'identité québécoise s'affirme à travers maintes réserves sur les joueurs «étrangers» qui, déplorent certains, n'ont pas tous «le CH tatoué sur le coeur»... Horizon de perception commun qui définit la nation ou championne du merchandising -économie et culture sont inséparables-, le Canadien resterait «bien loin d'être le simple exutoire qui permet aux masses de se défouler».

Audrey Laurin-Lamothe (UQAM) signe pour sa part un article intitulé Les implications de la corporation du Canadien de Montréal pour la société québécoise. Dans cet article qui aurait profité d'une révision plus rigoureuse, l'auteure retrace surtout l'histoire du Canadien comme contrôleur de l'offre et de la demande dans le marché, avant que le repêchage universel (1970) ne remplace le système des clubs-écoles mis sur pied par Frank Selke et exploité à sa limite par Sam Pollock. Le Canadien jouit-il encore, comme le laisse entendre l'auteure, d'une position privilégiée dans ce nouveau «système de régulation néolibéral»? Pas clair...

Dans le dernier des sept chapitres d'Une légende repensée où il ne cite jamais le Canadien, Alain Deneault, lui, semble plutôt opter pour «Une légende à détruire»... Dans Du pain et des jeux: lire le Juvénal à Montréal, un article, le style nous le suggère, destiné à un public restreint, l'auteur de Noir Canada écrit: «Une population francophone d'Amérique plus perdue que jamais quant au statut que lui confère l'histoire se voit dans la ville applaudir des nantis du show-biz sportif qui auraient peine à expliquer eux-mêmes pourquoi ils se trouvent à performer là plutôt qu'ailleurs.»

La ville va encore «se réveiller hockey» demain tandis que les tenants d'une autre raison continueront de chercher «la signification politique de cris de ralliement infantiles». La ville est O.K.

Audrey Laurin-Lamothe et Nicolas Moreau, dir. Presses de l'Université de Montréal

144 pages

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