Ce n'est pas qu'on veut rendre les autres jaloux, mais dans la vie d'un lecteur, c'est Noël tous les jours au presque. Et cela, sans la bousculade infernale des magasins. Parce que tous les jours, il y a cette espèce de communion dans la lecture, et ces phrases et ces pensées venant remplir le bas de laine qui servira à nous réchauffer dans les temps durs. Nulle raison de désespérer lorsqu'on peut, chaque fois qu'on ouvre un livre, toucher à l'humanité et sentir qu'on en fait partie. Quelques perles trouvées dans le bas de laine 2011 ...

«Je ne suis pas culturelle, il n'y a qu'une chose qui compte pour moi, saisir la vie, le temps, comprendre et jouir.»

- Annie Ernaux, dans Écrire la vie.

Souvenir de Gil Courtemanche, mort cette année. Rencontré pour la parution de Je ne veux pas mourir seul, son dernier livre. Parfaitement calme et lucide devant l'inéluctable, et cette froide certitude d'être passé à côté du vrai sens de la vie. La dernière chose qu'il aura voulu écrire, c'est une lettre d'amour. «Je tenais plus à cet amour qu'à la vie comme telle, et je l'ai perdu, disait-il. J'ai raté ma vie. J'écris pour le con qui refuse de se faire embrasser par sa blonde en public, alors qu'elle est sur le point de le quitter, même s'il en est follement amoureux.»

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Beaucoup de bruit et de fureur entourant le problème de l'intimidation à l'école. On pense spontanément à James Baldwin. Noir, homosexuel et pauvre, dans un pays ségrégationniste, homophobe, et obsédé par le cash, fallait du courage. On ouvre La prochaine fois, le feu, pour lire la lettre qu'il écrit à son neveu: «Tu ne seras détruit que le jour où tu croiras vraiment être ce que les Blancs appellent un nigger. Cela, je te le dis parce que je t'aime et, s'il te plaît, ne l'oublie jamais.»

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«Tu as vu la réserve, les maisons surpeuplées, la proximité, la clôture défaite, les regards fuyants. Tu as dit: Juste un peu de gazon, puis ce serait correct. Mais ce que j'aurais aimé partager, c'est cette indicible fierté d'être moi, entièrement moi, sans maquillage et sans parfum, dans cet horizon de bois et de blancheur. De grandeur, qui rend humbles même les plus grands de ce monde. En suivant la route du caribou, tu aurais vu la ténacité des hommes devant le froid, plus vivants que jamais, enfin dans leurs coutumes. Puis, au retour de la chasse, il y aurait eu du lièvre et de la banique, du thé sucré pour vous réchauffer. Tu aurais habité pour quelques jours la terre de mes ancêtres et tu aurais compris que le gazon ne pousse pas naturellement sur le sable.»

- Naomi Fontaine, dans Kuessipan.

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Souvenir de VLB remportant le prix Gilles-Corbeil pour l'ensemble de son oeuvre. L'oeil rieur, toujours, en fumant sa pipe. Sa nouvelle bonne humeur concernant la relève littéraire, qu'il trouvait si «seule au monde», il y a quelques années. «Entre 1970 et 1990, tu ne pouvais pas trouver un seul roman qui ne mettait pas en scène un écrivain en train d'écrire. C'est un bon signe de santé de voir autant de jeunes qui écrivent, et qui sont parfaitement contemporains du monde. Ils sont sortis du Plateau, ils ne voyagent plus pour voyager, ils s'intéressent à l'autre. Nietzsche l'a dit, l'art n'est jamais aussi florissant que dans les sociétés corrompues et décadentes...»

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«Le réel existe. Malgré tout ce que l'on dira de la déréalisation du monde, de la puissance des médias, du poids écrasant de la culture de masse, du déluge d'images mensongères auquel nous sommes quotidiennement soumis, de la cacophonie ininterrompue qui nous accompagne et rend l'acte de pensée de plus en plus difficile et précaire, le réel existe. Il continue d'exister malgré tout.»

- Bernard Émond, dans Il y a trop d'images.

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«Il reste cette scène qui traîne dans ma mémoire encore éblouie: celle d'une grand-mère et de son petit-fils figés dans l'éternel été de l'enfance. Nous ne faisions rien de mal cet après-midi-là. Et c'est cela à mon avis le seul sens à donner à sa vie: trouver son bonheur sans augmenter la douleur du monde.»

- Dany Laferrière, dans L'art presque perdu de ne rien faire.