Marie Darrieussecq a signé cet automne un roman d'une grande justesse et un brin provocateur, Clèves, incursion dans la tête d'une ado inspirée de sa propre adolescence dans les années 80.

Quel roman! Les titres de chacune des parties sont gravés pour rester: Les avoir. Le faire. Le refaire. Marie Darrieussecq a l'art de frapper juste. Et tant pis s'il y en a que ça choque, qui lui reprochent de parler trop cru. «Je m'en honore», dit-elle.

Après-midi ensoleillé de l'automne parisien. Métro Porte d'Orléans, donc au sud. Une rue calme. Nous voici dans son salon, salle à manger, pièce de séjour au cinquième étage d'un édifice qui ne laissait pas deviner tant de lumière et de verdure. C'est grand, confortable, chez Marie Darrieussecq, conçu pour accueillir des enfants. Elle en a trois: Mathieu, 10 ans, Claire, 7 ans, Thérèse, 3 ans.

Une ado des années 80

Mais c'est d'abord pour parler de Solange, «mon seul ange», l'héroïne de Clèves, son nouveau livre, qu'elle a accordé cet entretien. Solange est une préado. Avez-vous idée de ce qui se passe dans la tête d'une fille de cet âge? Si oui, pas besoin d'expliquer ce que signifie Les avoir, Le faire, etc. Elle s'observe dans le miroir, regarde pointer ses seins. Elle aimerait bien que ça pousse plus vite.

Marie Darrieussecq ne fait pas de cachette. Elle s'est inspirée de sa propre adolescence pour écrire ce roman. C'est pourquoi l'histoire se situe au début des années 80. Comme Solange, elle a tenu son journal. Et comme elle, plutôt que de remplir des cahiers, elle trouvait plus commode de s'enregistrer sur cassettes. Elle a donc tout réécouté. «Une plongée en apnée» qui l'a ramenée au temps de La danse des canards et de Boy George. Le chic s'incarnait alors dans le jean 501.

On lit ça. Et si ce n'était le décor, un village du Pays basque, on pourrait se croire au Québec. Marie Darrieussecq confirme que le pouvoir d'attraction des États-Unis était aussi fort là-bas qu'ici. Dans sa chambre, les rideaux arboraient des motifs de Manhattan. «Je rêvais d'aller à New York.» Mais l'aventure s'est surtout cristallisée autour de ses études. Elle est agrégée de lettres. Et psychanalyste.

«Je dois tout à l'école», lance-t-elle spontanément. Fille unique de parents qu'elle qualifie de «petits bourgeois», elle juge avec froideur. Son père travaillait dans une fonderie. Pas ouvrier, pas non plus ingénieur. Technicien. Le vrai littéraire, c'est lui. Il lisait «en désordre des romans de gare ou Tolstoï».

La mère de la romancière enseignait le français. Mais ce n'était pas son choix. Elle aurait voulu être hôtesse de l'air. Cela dit, le pire pour Marie Darrieussecq est d'avoir grandi «dans une maison où il y vraiment un fantôme [...] Je suis précédée par un fils mort».

Secret de famille

Dans Clèves, il est question d'un frère que Solange n'a pas connu. «C'était plus caché que dans le livre», dit l'auteure à propos de sa propre situation. D'ailleurs, elle se propose d'écrire un jour sur «la conséquence du non-dit... quand mes parents seront morts». Elle a cependant publié, en 2007, Tom est mort, «pour exorciser, dit-elle, la hantise de perdre un enfant». Ses parents ont beaucoup aimé. Mais pas Camille Laurens, qui est allée jusqu'à l'accuser de «plagiat psychique». «C'est son problème, tranche Marie Darrieussecq. Des gens se pensent propriétaires de leur douleur.»

N'empêche! Cette querelle n'a rien pour faciliter l'obtention de prix, surtout pas le Femina, dont Camille Laurens est l'un des membres du jury. Depuis la publication de Truismes, en 1996, «un succès de folie», vendu à plus de 1 million d'exemplaires, toutes éditions confondues, Marie Darrieussecq n'a encore reçu aucune récompense, à part l'accueil enthousiaste des lecteurs, ce qui la satisfait pleinement. Ce roman montrait une femme qui se métamorphose en truie. Clèves, ainsi nommé à cause de la princesse du même nom, est centré sur une adolescente qui vit ses premiers émois.

«Mettre des mots là où il n'y en a pas, là où il y a embarras», c'est ce que fait Marie Darrieussecq, en tenant compte du milieu dans lequel évoluent ses personnages. Un pénis est une bite.

Par rapport à son époque, elle constate que les échanges sont aujourd'hui plus rapides. Solange attend, elle, que le téléphone sonne. C'est un téléphone à fil. Impossible de se déplacer. Les parents entendent, sans comprendre ce qui se passe. La contraception existe, mais les moeurs n'ont pas évolué aussi vite que les moyens techniques. «Il fallait dire oui pour avoir l'air cool.» Marie Darrieussecq croit que les ados de sa génération sont allés plus loin qu'ils le voulaient. Puis arrive le sida qui jette le monde dans la confusion.

Bref, Clèves est un roman qui ne laisse personne indifférent. Un roman qu'il faut lire.

Clèves

Marie Darrieussecq

P.O.L.

345 pages

Photo: P.O.L.

Clèves de Marie Darrieussecq.