«Le dernier territoire à conquérir» - c'est la devise de l'État de l'Alaska. Ces mots évoquent un pays sauvage, où l'homme - et la femme, parfois - peut se mettre à l'épreuve, se réinventer, oublier son passé. C'est un peu la Californie, version froide, et Dieu sait que les Américains se ruent vers la chance de refaire leurs vies dans un paysage nouveau.

D'où le titre quelque peu menaçant du dernier roman de David Vann, Désolations. On connaît David Vann grâce à son premier livre, Sukkwan Island, Prix Médicis étranger 2010, et Désolations reste dans les mêmes territoires, ceux qui ont vu grandir l'auteur. Vann sait très bien évoquer la beauté mortelle du Grand Nord américain. Son éditeur, Gallmeister, petite maison française qui monte, a raison de l'inclure dans sa collection «Nature Writing», empruntant, comme c'est souvent le cas en France, une expression anglaise pour parler des écrivains qui mettent en scène le monde naturel comme s'il était un personnage.

Mais la cruelle Dame Nature n'est pas seule dans le roman de Vann. C'est tout le mythe américain, selon lequel on peut se refaire la vie en changeant de paysage, qui aura la vie dure dans ce livre. Attirés par ce territoire supposément vierge, Gary et Irene ont quitté le sud pour s'établir en Alaska et élever leurs enfants, Rhoda et Mark. Mais pour Gary, sa petite ville en Alaska ne suffit pas. Il rêve de se bâtir une cabane pour s'isoler encore plus, et pour ceci, il choisit Caribou Island, un bout de rocher au milieu d'un lac peu fréquenté.

Il veut fuir, comme tous les hommes, et quand il aura construit sa maudite cabane, il me quittera - voilà ce que pense sa femme Irene. Elle réagit par de terribles migraines. Malgré tout, elle ira sur Caribou Island pour aider son mari, qui est tout sauf constructeur de cabanes.

Si vous avez l'intention de vous bâtir un chalet en couple, je vous déconseille la lecture de ce roman. Les descriptions de Gary et Irene luttant contre les intempéries, tout en se maudissant mutuellement, sont tout simplement terrifiantes. À quel moment cette histoire va-t-elle mal tourner? Voilà le suspense du livre.

Entre-temps, Rhoda, leur fille, reçoit la bonne nouvelle qu'elle attendait depuis toujours: enfin, son copain dentiste Jim la demande en mariage. Autre scène douloureuse (mais très réussie): puisqu'elle ne peut annoncer la grande nouvelle à sa mère, isolée comme elle est dans son île de malheur, la demande en mariage ne lui procure aucune joie - ni à son fiancé, finalement.

Et quand Rhoda peut enfin raconter son futur bonheur avec Jim, Irene ne se fait pas rassurante: «Si tu ne te réveilles pas tout de suite, tu seras seule comme moi. Ta vie gâchée, il ne te restera rien.» L'amour maternel a encore manqué le rendez-vous.

Désolations

David Vann

Traduit par Laura Derajinski Gallmeister, 297 pages

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