La biographie de l'ancien pilote Conrad Racine, signée André Barrière, serait un tissu de mensonges. Le milieu de l'aviation réclame des excuses.

Le milieu québécois de l'aviation crie au vol. Un regroupement «d'indignés» soutient que la biographie de l'ancien pilote Conrad Racine, parue ce printemps, est un tissu de mensonges. Dans une lettre cosignée par une vingtaine de personnalités et trois associations de gens de l'air, le regroupement réclame des excuses à l'auteur André Barrière et demande aux Éditions de l'Homme de retirer le livre des tablettes.

Du ciel aux enfers, l'incroyable histoire de Conrad Racine, pilote québécois qui a défié les éléments, présente ni plus ni moins M. Racine comme l'ancêtre du commandant Piché. Cet ancien pilote, décédé en 2004 à l'âge de 72 ans, aurait accumulé des aventures rocambolesques dignes de Buck Danny, notamment lorsqu'il était à l'emploi de Quebecair dans les années 50.

Mythomane

Mais les connaisseurs qui ont lu le livre en doutent fortement. «Ce livre, c'est un mythomane qui a raconté sa vie à un autre mythomane. C'est du délire éthylique, déplore Lise Audet Lapointe, fille d'un ancien pilote de Quebecair et porte-parole du regroupement. Conrad Racine a existé, il a peut-être eu une licence de pilote, mais il s'est approprié des événements qui ne lui sont pas arrivés.»

Quand elle a lu Du ciel aux enfers, Mme Lapointe a hurlé. Plusieurs passages lui semblaient tout simplement insensés. Elle a fait ses recherches et appelé des vétérans du milieu. «Personne n'avait jamais entendu parler de Conrad Racine», dit-elle.

Plusieurs événements racontés dans le livre sont vrais, concède Mme Lapointe. Mais il est peu probable, voire impossible, que M. Racine en ait été le héros.

Des énormités

Des exemples? Conrad Racine prétend avoir ramené la dépouille de Maurice Duplessis de Schefferville en 1959 avec l'avion gouvernemental. Or, selon le regroupement, il n'y avait pas d'avion gouvernemental à l'époque.

Conrad Racine pilotait l'avion d'Ungava Airlines dans lequel un bébé est passé par un hublot? Le nom de la compagnie était plutôt Hollinger Ungava Transport, le bébé n'est pas sorti par le hublot, mais par la porte de la sortie d'urgence et le commandant du vol se nommait Bob McLean...

Conrad Racine a été détourné vers Cuba lors d'un vol en direction de la baie d'Hudson? Le seul vol détourné documenté au Québec avait pour pilote un certain Maurice Ouellet...

Une quinzaine d'autres énormités sont ainsi recensées par le regroupement. Mais la plus énorme d'entre toutes concerne le fameux accident du DC-3 de Quebecair qui s'est écrasé dans le Labrador, le 16 janvier 1956.

L'accident a bien eu lieu, mais selon Mme Lapointe, il est absolument certain que Conrad Racine n'était pas à bord.

«Nous avons tous les papiers reliés à l'enquête, son nom n'apparaît nulle part. Le répartiteur en devoir ce soir-là nie formellement la présence d'un pilote-instructeur nommé Racine sur ce vol.» Mme Lapointe déplore en outre que l'auteur se soit permis d'inventer les dialogues qui ont eu lieu dans le cockpit avant l'écrasement. «J'ai parlé aux fils du pilote et du copilote qui sont morts ce soir-là. Ils ont été horrifiés de lire ça...»

Alcoolique avoué, Conrad Racine avait peut-être le mensonge facile. Mais pour Harold Morin, de l'Association des gens de l'air du Québec, le vrai coupable demeure André Barrière. «S'il avait présenté ça comme une fiction, on aurait fermé notre gueule, dit-il. Mais son livre entache la crédibilité de tous ceux qui ont fait des choses pour développer l'aviation francophone au Canada.»

»Respect pour les anciens combattants!»

Joint à Sherbrooke, le principal intéressé affirme avoir travaillé de bonne foi. «Je n'ai pas fait ça pour arnaquer le monde. J'en ai vérifié tant que j'ai pu, mais après 12 ans de recherche, j'ai arrêté. J'ai essayé de consulter le dossier sur l'accident de 56, mais on m'en a refusé l'accès. Il y a des gens qui n'ont pas voulu me parler.»

Il aurait pu contacter l'Association des Pionniers de Quebecair, admet-il. Mais «je n'en ai pas eu l'idée». Quant à ses références, il affirme que l'éditeur a refusé de les publier. Pourquoi? Il l'ignore. Reculant d'un pas, il reconnaît que son livre contient «peut-être des inexactitudes», mais qu'il faudrait plutôt «s'arrêter à l'humanité qui s'en dégage...»

Puis à ses détracteurs, il lance ceci: «un peu de respect, s'il vous plaît, pour les anciens combattants.» Conrad Racine, on allait l'oublier, aurait aussi volé en Corée et au Vietnam (comme pilote pour l'armée américaine), deux guerres dont il est sorti indemne après avoir été capturé par l'adversaire...

Les Éditions de l'Homme ne nous ont pas rappelé. Mais avec le Salon du livre qui décolle, on devine que cette histoire - fausse ou vraie - leur fera une belle publicité.