Succès populaire en France et toujours en lice pour trois prix littéraires (dont le Goncourt), le plus récent roman de Delphine de Vigan s'ouvre sur la découverte du corps de sa mère, les mains et le visage bleus. Lucile s'est suicidée à l'âge de 61 ans, fatiguée d'un traitement contre le cancer et d'une vie de troubles bipolaires. Vigan entreprend alors de la raconter depuis l'enfance.

Georges et Liane, les parents de Lucile, étaient «des bobos avant la lettre», flamboyants, charismatiques, réussissant à multiplier les activités malgré leurs sept enfants. Une famille bourgeoise d'une vitalité étonnante, qui sera peu à peu entamée par les drames et les deuils.

Au milieu de cette famille, Lucile fut une enfant-vedette qui posait pour des publicités, son visage affiché en grand dans le métro de Paris. Elle devient une adolescente silencieuse et lointaine, puis une jeune mère bohème. Jusqu'au cauchemar des bouffées délirantes, des crises de paranoïa, des internements et de la camisole chimique. Plus tard viendra le répit, la vie «normale» vécue comme un miracle.

Vigan enquête, interroge les membres de la fratrie désormais disséminés dans toute la France. Elle ne manque pas de matériaux: un documentaire réalisé sur la famille par la télévision, l'autobiographie de Georges enregistrée sur des cassettes audio avant sa mort, des écrits intimes de Lucile. Aller au-delà de la mythologie familiale ne se fait pas sans douleur. C'est l'un des intérêts du livre: Vigan rend compte de ses réflexions sur sa démarche littéraire, angoissée, pleine de doutes. Et fait le constat de son impuissance: elle ne pourra jamais raconter sa mère que de l'extérieur.

Aussi, c'est dans les manques que le roman puise sa force. Au fil des questions qui restent sans réponse, des trous impossibles à combler, se profile un personnage fascinant. Lucile, si fragile, si déterminée aussi, est infiniment émouvante. D'autant plus que Vigan ne la raconte pas comme une mère, mais comme une femme. La dernière partie du livre, récit en détail du suicide, est bouleversante: Lucile emporte avec elle tout le mystère de son mal-être.

Rien ne s'oppose à la nuit

Delphine de Vigan

Éd. JC Lattès, 437 pages