Le poète Claude Péloquin a beaucoup produit les dernières années. Même si son oeuvre ne récolte toujours pas la reconnaissance qu'elle mérite, à l'aube de ses 70 ans, le don Quichotte de la littérature québécoise semble plus serein dans ses écrits.

Peu de temps avant sa mort, Bruno Roy s'indignait du manque de reconnaissance de l'oeuvre de Claude Péloquin dans certaines anthologies de la poésie québécoise. La chose est, en effet, pour le moins étonnante.

En outre, même si on en a très peu parlé, le poète a beaucoup publié les dernières années. Il termine en ce moment Le poète en feu de glaces, un essai pour remettre les pendules à l'heure - voir plus bas - et prépare un enregistrement avec Michel Lefrançois.

Cet affront étalé dans le temps, mais néanmoins insidieux envers une voix unique dans la littérature québécoise, prend ses racines dans l'oeuvre elle-même. La cause est entendue; Claude Péloquin est un poète rebelle qui aime provoquer. L'écriture de celui qui «préfère passer pour fou que passer tout droit» a d'abord suscité l'incompréhension il y a 50 ans en se tissant d'élans surréalistes. Son «vous êtes pas tannés de mourir bande de caves/c'est assez» a ensuite dérangé les bien-pensants; tandis que la récurrence de ses thématiques sexuelles et scatologiques aura aussi écorché les bonnes moeurs.

Dans un parcours aussi touffu que le sien, tout cela ne serait rien si ce n'était le rejet ultime d'un certain milieu littéraire qui semble lui en vouloir d'être un écrivain accessible dans son style, voire commercial dans sa pratique.

Prolongeant Refus global, Claude Péloquin a toujours favorisé l'écriture automatique. Le cri et le spontané, plutôt que le filtre et le fabriqué. Il écrit vrai, cru, simple, voire simpliste parfois. Cultivant les paradoxes, il se répète et s'obstine pour une raison toute naturelle dans le fond: il veut être compris.

Regain

Depuis cinq ans, sa production a connu un regain d'énergie. Claude Péloquin n'a pas changé, mais on se retrouve face à un auteur qui, sans avoir vaincu tous ses démons, démontre une sérénité touchante. Depuis 2007, on assiste au spectacle d'un humaniste en phase de réconciliation avec ses «braves» frères du vivant, qu'ils soient océans, arbres, chiens ou humains.

Le don Quichotte de la littérature québécoise - ses moulins à vent étant tous les gestes de mort que comporte la vie - continue de rêver à l'éternité en tentant plus que jamais d'attacher ensemble les fils de sa pensée, de son écriture faite de coups de gueule, de feux de paille, mais aussi d'élans du coeur qui résonnent comme un testament.

«Je me déclare fou de ne pas vous ressembler Terriens tant aimés/Puisse toute mon oeuvre être/Lue en blues de vous» (Sur l'îlot de Cupidon)

Ou encore: «Je ne pars pas/Je suis parti sur/Les ailes de la douleur/D'avoir vu tant de pertes/De savoir que tous les êtres humains/Sont extraordinaires... (Le cadeau)

Étant donné son long parcours, on s'aperçoit que le poète ouvre les bras, qu'il cherche à effacer les malentendus et le gouffre que certains écrits passés auront créés entre les lecteurs, son personnage et lui-même. Entre le vous et le nous, son destin est le même que celui du lecteur.

«Jusqu'à la fin de vos temps/L'humanité m'a fasciné/Par son dialogue avec elle-même/Dans sa loge fermée à double éternité/Ouvrant sur ce chemin terrifiant/Où nous nous engouffrons tous» (Sur l'îlot de Cupidon)

Impressionnant corpus

Depuis quelques années, Péloquin renoue avec toutes les étapes de son impressionnant corpus. De l'imaginaire dada des débuts aux aphorismes récents en passant par les relents beatniks..

«J'épands mon fumier/Sur la tête de la mort/Pour lui donner vie comme aux carottes/Dans les champs de mine où nous nous trouvons [...] Je suis le forceps de vos esprits» (Le cadeau)

On le voit, le rebelle ne dort jamais loin de l'amère tranquillité chez Péloquin. Quand ses paroles s'étirent en tendresse, le pamphlétaire revient à la charge pour nous replacer face à la dure réalité. Un mot apparaît, rarissime chez lui, et nous fait saisir l'étendue de sa réflexion.

«Le seul mot qui peut respirer lui-même - de chacune de ses lettres - est l'espoir» (Sur l'îlot de Cupidon)

Et lui le poète qui assume tous les contrastes et les contradictions humaines, croit aussi à l'amour.

«Être à toi va me sauver de moi/Car cette liberté obèse va me tuer/Vaut mieux ta chaleur que celle de la planète/Fuir l'amour ne mène nulle part ailleurs qu'aimer» (Ma paix)

Ce dernier titre est celui de l'heureuse monographie que la Bibliothèque québécoise, sous la direction de Jean-Sébastien Ménard, consacre à l'oeuvre de Claude Péloquin. Ce condensé fort à propos nous évitera de mourir un peu trop caves. Le silence, c'est la mort, le silence est rompu.

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Sur l'îlot de Cupidon
(2007)

Lanctôt Éditeur, 169 pages


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Le cadeau (2008)

Illustré par Zilon

Michel Brûlé


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Nipi (2009)

Transit, 119 pages


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Ma paix (2010)

Sous la direction de Jean-Sébastien Ménard

Bibliothèque québécoise, 177 pages


Pour en finir avec la controverse

Il y a eu un poème commandé et décommandé, un certain voyage et un spectacle dans l'espace, mais surtout un malentendu créant un vide intersidéral entre deux amis.

Claude Péloquin en est triste encore aujourd'hui, lui qui s'est fait tatouer le logo du Cirque du Soleil dans le dos. «Je n'ai rien contre Guy [Laliberté]. Ce sont ses soldats autour qui ont voulu me faire signer des droits à vie. Je ne pouvais pas le faire», réitère-t-il.

Et il poursuit: «C'est vrai que Guy m'a aidé financièrement. Mais je lui ai aussi fait cadeau d'un livre unique - Le cadeau, paru par la suite chez Michel Brûlé - qui vaut bien ça, 30 000$.» Pour vivre, il n'a jamais enseigné, ni tourné de films, souligne-t-il. Il écrit pour des regroupements et des entreprises, Pixcom, le groupe Saint-Hubert, la FTQ notamment, et il vend des aphorismes inscrits sur des pierres qu'il ramasse lui-même au bord du fleuve.

À l'aube de ses 70 ans, Claude Péloquin ne souhaite pas repartir dans une guerre des étoiles. Son poème pour la terre, Nipi, a fini par être publié chez Transit. Il s'agit d'un poème pour tous, comme il en a rarement écrit. Le poète y tend la main à l'ami qu'il espère retrouver.

Sur l'îlot de Cupidon, de Claude Péloquin.