Hélène Monette, Suzanne Jacob, Denise Desautels. Trois poètes différentes, mais qui se rejoignent. Trois grandes auteures québécoises. Avoir accès à leur parole, à quelques mois d'intervalle, représente un moment fort dans l'année d'un lecteur. Ces trois parcours poétiques partagent la force des images, la précision du propos, la vérité de l'émotion.

Le lecteur qui se projette dans ces univers en même temps pourrait dire d'Hélène Monette qu'elle se plaît à tourner des documentaires, mais il ne s'agit pas de cinéma direct. Son travail «documentaire» ne feint pas de se cacher derrière la soi-disant réalité, même s'il s'en inspire. Son «observation poétique» reste à tout moment personnelle. En d'autres mots, l'objectif de sa caméra est tout à fait subjectif.

En vers et en prose, l'écriture décrit des paysages familiers ou lointains, mais toujours avec un angle oblique qui fait voir la «femme de Jésus» à travers les ordures, la «Paix et l'Amour dans le garage», usant d'une sorte de sourire en coin, qu'on pourrait nommer espoir, et ce, en dépit de l'indifférence ou de l'ignorance, des soldats et des dictateurs.

Hélène Monette «cherche l'humanité» et finit par la trouver, transcendant laideur, douleur et lourdeur.

L'ailleurs que laisse entrevoir le titre de l'ouvrage fait écho à l'expression populaire «changer le mal de place», mais sans cynisme, plutôt avec empathie. Après tout, la foule anonyme est le «seul amour perdu» de cette poète dont la caméra fixe résolument ce qui, de nous, reste vert.

«la petite espérance marche encore/au quart de tour/elle fait le tour du jardin/la petite espérance/comme le muguet dans la cour».

Suzanne Jacob

De son côté, Suzanne Jacob «filme» un huis clos entre deux êtres qui cherchent, se cherchent et s'aiment probablement toujours.

Malgré le piano en nous qui désaccorde et le moment venu toujours mal venu. On trouve le monde entier dans ce recueil tissé d'une grande tendresse. Certes, il y a tristesse, voire désespoir, mais la narratrice n'est pas du genre à renoncer puisqu'il «y a décès mais non la mort».

La question du titre du recueil nous révèle surtout l'aveu de ce besoin de l'autre. Même si, encore une fois, bien des incertitudes et des questionnements traversent la majorité des textes.

«De quelles fortunes nous montrons nous/si jaloux, si avares,/alors que nous ne possédons rien?»

Il reste le nous, justement, celui des chocs et des passions, des hésitations et d'une volonté définitive aussi: la célébration de l'autre.

«Aucun recommencement/n'épuisera l'origine/car tu restes/créé.»

Denise Desautels

La parole de Denise Desautels, enfin, effectue un travelling entre les positions de ses soeurs de lettres, quelque part entre la description et l'introspection. Véritable «entre-deux» de tous les instants, cette poésie fouille L'angle noir de la joie et tout autant les éclaircies dans les zones grises.

La poète, qui a reçu le Prix de littérature francophone Jean Arp 2010, puise une partie de ses images chez les muses de l'art contemporain: Messager, Abramovic, Hurlbut. Mais le tableau reste clair et limpide. Aucun langage hermétique dans ce magnifique livre tout en équilibre et en nuances.

Son «dis-moi où continue le futur» semble prolonger les questionnements de Suzanne Jacob. Et sa ville de Québec «écartelée entre deux terres» fait penser aux tristement beaux paysages urbains d'Hélène Monette.

Comme si Denise Desautels les assumait toutes les deux dans son verbe ample et généreux.

«crier/d'un bout à l'autre de son crâne/en pleine tempête, avec femmes et filles/rivages et continents effrénés/crier/crier catastrophe et joie survivante».

Fondu enchaîné. Générique de fin.

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Là où était ici. Hélène Monette. Boréal, 131 pages.

Amour que veux-tu faire? Suzanne Jacob. Boréal, 86 pages.

L'angle noir de la joie. Denise Desautels. Arfuyen/LeNoroît, 105 pages.