«C'est vrai que les sujets que j'aborde sont intimes, raconte avec beaucoup de franchise Éric Fottorino. Mais je crois que ces livres ne sont pas racoleurs, qu'ils ne bradent pas les sentiments. L'enjeu est d'atteindre une sincérité et une vérité, de dire juste, comme un instrument qu'on accorde pour avoir la note juste.»

L'homme qui m'aimait tout bas est une déclaration d'amour à son père adoptif, Michel Fottorino, qui lui a donné son nom et qui lui a permis d'utiliser le mot papa. Questions à mon père est une sorte d'enquête sur l'histoire de son père biologique, Maurice Maman, qui le mène jusqu'à une partie de ses racines. Le premier livre a été écrit en 2008 après le suicide de Michel. Le deuxième a été écrit l'an dernier, alors qu'Éric Fottorino a voulu réparer le lien brisé entre lui et Maurice, alors gravement malade.

«Je ne sais pas si toutes les histoires sont bonnes à raconter, mais je sais qu'une histoire est bonne si elle vient d'une nécessité de la raconter, si notre vie en dépend.» Dans son cas, c'est clair: il a écrit L'homme qui m'aimait tout bas en 10 soirées, au moment où, comme grand patron du journal Le Monde, il pilotait des réformes majeures pour le quotidien français. «On est tellement démuni devant un suicide. Je me suis appuyé sur l'écriture et ça m'a permis de mener une vie à peu près normale alors que plus rien ne l'était.» Écrit dans l'urgence, L'homme qui m'aimait tout bas n'était pas destiné à être publié. Pourtant, ce récit d'une grande sensibilité a connu du succès et a même reçu le Grand prix des lectrices de Elle.

Même s'il est arrivé après, Questions à mon père vient de beaucoup plus loin. Depuis son enfance, Éric Fottorino a cherché à se définir par rapport à ce père qu'il n'a pas connu. Cette quête identitaire a d'ailleurs fait partie de presque tous ses romans depuis 20 ans. «Depuis mon premier, Rochelle, il y a toujours cette insuffisance des adultes et cette exigence des enfants, ce regard lucide et sans compromis.» Le père absent n'a pas eu le beau rôle dans ces histoires, et il a voulu en quelque sorte rétablir les faits, le réhabiliter à ses propres yeux.

Dans Questions à mon père, Éric Fottorino ne se donne pas le beau rôle et raconte comment il a longtemps fermé son coeur à cet homme qui a été, comme sa mère, victime des circonstances et de l'époque. «Si ça prend du courage? Écrire est toujours une manière de s'humilier, de s'exposer au jugement. En même temps, si on se protège, le résultat n'est pas intéressant et souvent, ne touche pas.»

Lorsqu'il était enfant, il avait l'impression de vivre dans le brouillard, mais sans cette faille originelle, il croit qu'il n'aurait probablement jamais écrit. «J'ai senti le pouvoir des mots, comme si un fil se tendait au-dessus d'un gouffre et que je marchais en équilibre dessus.» Éric Fottorino n'a jamais eu peur de se dévoiler et admet en rigolant que l'écriture lui a probablement évité une psychanalyse. «La différence, c'est qu'il faut payer pour la psychanalyse! Sérieusement, j'ai payé autrement, en allant au fond de moi, en faisant le silence pour faire apparaître la lumière des mots.»

Se consacrer à l'écriture

Pendant que l'homme se cherchait une identité, le journaliste Éric Fottorino, lui, avait trouvé sa place au Monde, où il a tout fait pendant 25 ans, jusqu'à le diriger pendant les 5 dernières années. Il est parti en mars après en avoir piloté la recapitalisation, dans une tourmente sans précédent. Il ne sort pas de l'aventure amer - «j'ai trop aimé travailler là et je suis trop respectueux de ceux qui y sont encore pour dire que ce sera moins bien après moi» -, mais songe à publier une sorte de réflexion sur le métier de journaliste et sur l'information, vue à travers son expérience.

Sans rancoeur et philosophe, il constate qu'il peut maintenant se concentrer à l'écriture à temps plein. Le moment est bien choisi, puisqu'il a vraiment l'impression d'avoir enfin trouvé son «paysage littéraire». «Plus j'avance, plus j'ai de liberté dans l'écriture. Quand j'ai commencé il y a 20 ans, je cherchais quelque chose. Maintenant, je sais mieux utiliser les mots, les phrases, les silences, les ruptures.»

Après L'homme qui m'aimait tout bas, Éric Fottorino croyait pourtant que ce serait son dernier livre. Il constate maintenant avec bonheur que les projets sont toujours au rendez-vous et son prochain roman, Le dos crawlé, sera en librairie en septembre. Il y parlera encore d'enfance, «le lieu d'où il écrit», et du passage à l'adolescence.

Quant à la question de la filiation, elle reste toujours au coeur de ses préoccupations. En faisant l'histoire de son père biologique, l'auteur de 50 ans s'est en effet trouvé une nouvelle famille, et découvrir des ressemblances physiques, par exemple, entre sa fille et sa grand-mère qu'il n'a jamais connue, reste pour lui un émerveillement. «Chacun de nous est fait du visage des morts. C'est ça l'éternité: on survit à travers ceux à qui on a donné la vie. On a besoin de racines et c'est pour ça que l'identité m'intéresse: on se comprend mieux quand on sait d'où on vient.»

Il a aussi récolté une identité juive qu'il apprend encore à apprivoiser et dont il ne sait toujours pas ce qu'il en fera. Peut-être un livre, avance-t-il, qui pourrait s'intituler: Qui est ce Juif en moi? Éric Fottorino n'a pas fini de débroussailler ce long sentier qu'est l'identité.

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Une table ronde sur la mémoire et la filiation aura lieu ce soir avec Éric Fottorino, Alexandre Jardin et Philippe Forest. Éric Fottorino donne demain matin un atelier d'écriture et est l'invité d'un Face à face demain soir à l'occasion de Metropolis bleu. Infos: metropolisbleu.org