Avec un premier roman au carrefour du conte fantastique, du polar et du portrait d'époque, Liliana Lazar a fait une entrée remarquée dans le monde de la littérature. L'auteure d'origine roumaine, qui a fait un long chemin depuis son enfance dans la campagne moldave, a reçu la semaine dernière le prix Québec-France Marie-Claire Blais du premier roman, un honneur qui s'ajoute à une longue liste de prix et de critiques élogieuses.

Terre des affranchis, paru en 2009, a connu un véritable essor en 2010 lorsque Liliana Lazar a reçu le prix des Cinq continents lors du Sommet de la Francophonie. Propulsée défenseur de la littérature de langue française, cette femme toute menue à l'accent chantant n'en demandait pas tant. «C'est une grande tâche. Qu'ai-je fait pour mériter ça?» demande-t-elle en souriant, racontant que ce livre, elle l'a porté pendant presque 10 ans avant qu'il ne soit publié.

Si Liliana Lazar est devenue un phénomène, c'est beaucoup parce que l'auteure née en 1972 à Slobozia - c'est d'ailleurs son village qui est la toile de fond de son roman - a choisi le français comme langue d'expression. Une langue pour laquelle elle a eu très jeune le coup de foudre et qu'elle maîtrisait déjà lorsqu'elle a quitté la Roumanie pour la France en 1996, quelques années après la chute de Ceaucescu.

C'est donc tout naturellement qu'elle a écrit en français. «Je l'ai fait spontanément, tellement que j'ai été très surprise lorsqu'on m'a posé la question la première fois.» Ce qui est clair pour elle, c'est que ce choix n'est pas anodin et que le résultat aurait été différent si elle avait opté pour le roumain. Pourquoi? «Il y a une façon de raconter qui est différente, des références, une éducation. En écrivant dans ma langue maternelle, j'aurais eu plus de barrières. Le français m'a fait passer une frontière.»

Terre des affranchis, qui se déroule en Roumanie entre 1965 et 1990, est pourtant directement inspiré des souvenirs d'enfance de cette fille de garde forestier. Liliana Lazar y raconte l'histoire de Victor Luca, psychopathe qui s'ignore, qui vit caché dans le grenier de la demeure familiale pendant 15 ans, protégé par sa mère et sa soeur. Gravitent autour de cette famille les personnages dominants d'un petit village, le pope - et son successeur -, le policier, le sorcier, l'ermite. «Les gens me disent souvent que j'ai fait un portrait de la Roumanie. Mais non, c'est plutôt comme le détail d'une fresque.»

Au départ, il y avait l'image d'une route qui traverse la forêt et qui débouche sur le village, des odeurs, des sensations, des postures. Liliana Lazar savait très bien dans quel décor elle voulait camper son roman. Il ne lui restait qu'à trouver une intrigue, lorsqu'elle a entendu parler d'un Ukrainien qui était resté caché pendant 50 ans sans savoir que la guerre était terminée. C'est ainsi que Victor Luca est né, et qu'elle a pu parler des transformations qui ont eu lieu en Roumanie après 1989, lorsque la dictature de Ceaucescu est tombée. Des changements qui effleurent le village, mais qui lui ont permis de commenter, comme narratrice, les effets néfastes des dogmes religieux et politiques, et les liens entre les deux.

Failles humaines

Mais ce sont surtout les petites et grandes lâchetés humaines qui l'intéressent. Liliana Lazar aime les failles, c'est pourquoi elle a adoré créer le personnage de Victor Luca, si peu aimable dans sa manière de toujours chercher des excuses pour ses méfaits. «J'aime les travers humains, ça m'intrigue. J'ai aimé fouiller dans la psychologie de Victor, même si je ne l'aime pas. Les contes de fées, quand on est adulte, c'est plutôt ennuyant.»

Elle préfère de loin les contes fantastiques et ce n'est pas pour rien que Terre des affranchis est baigné dans une ambiance inquiétante faite de brouillard et de sorcellerie et dominée par un lac maléfique surnommé La Fosse aux Lions. «J'ai été élevée parmi les légendes et les croyances populaires, comme celle qui veut que l'enfer se trouve au fond d'un lac à l'eau stagnante, qui sent le soufre.» Terre des affranchis n'aurait sûrement pas le même impact sans cette touche de magie. «C'est ma façon de raconter une campagne qui change, portée par une grande nostalgie.»

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Terre des affranchis. Liliana Lazar. Gaïa, 199 pages.