Après Les adieux à la reine, prix Femina 2002, Chantal Thomas passe encore par le XVIIIe siècle qu'elle connaît si bien pour nous offrir une fable amorale sur le sort des femmes sous le règne de Louis XV. Le testament d'Olympe est un hommage bien particulier à Sade, puisque nous suivons les destins de deux soeurs qui ne sont pas sans rappeler Justine et Juliette. Mais au-delà du bien et du mal, il y est question d'ambition, de pouvoir, d'ascension et de chute. Et toute ressemblance avec notre époque n'est pas le fruit du hasard...

Invitée par le Salon du livre de Québec, Chantal Thomas a en plus offert un petit cadeau à ses lecteurs montréalais en présentant jeudi une conférence dans le cadre des Belles soirées de l'Université de Montréal. Son sujet? La condition des femmes au XVIIIe siècle, qui était bien moins rose que ce que les Goncourt ont écrit, ou que les «films à costumes» ont montré. «À cette époque, les femmes étaient dépourvues de tout droit, de toute possibilité de travail, et si certaines réussissaient, c'était une conjoncture absolument exceptionnelle, explique l'historienne. Le choix qu'elles avaient était étroit et dans tous les cas, c'était des formes d'enfermement: le mariage ou le couvent, et si elles choisissaient le libertinage, c'était à haut risque.»

C'est ce «versant noir» de la condition des femmes qui a inspiré Chantal Thomas dans l'écriture de son dernier roman, Le testament d'Olympe, dans lequel nous suivons les parcours de deux soeurs, Apolline et Ursule, nées dans l'indigence. Apolline croit à la Providence et accepte humblement son sort, tandis qu'Ursule ne croit qu'à la volonté et espère grimper jusqu'au sommet. Elle se retrouvera finalement dans le sérail du roi Louis XV, dans la fameuse maison du Parc-aux-Cerfs destinée à son plaisir. Mais on n'approche pas du pouvoir sans danger. Surtout quand on est une femme...

«Ce destin est à la fois inventé et basé sur des histoires vécues, dit Chantal Thomas. J'ai été touchée par ces histoires de très jeunes filles qui étaient achetées par le roi et qui étaient si près du pouvoir, à quelques mètres de Versailles. Dans tout ce que j'ai lu sur le sujet, j'ai trouvé que c'était toujours abordé comme si ça n'avait aucune importance, que c'était quantité négligeable. Mais qu'est-ce qui leur arrivait après? Qu'est-ce qui se passe après pour ces jeunes filles à qui on offre tout d'un coup une vie très facile et qui sont ensuite rejetées? Pour elles, il y a juste le moment de l'éclat. Cela ressemble à ces actrices célèbres en un film et qui après ne jouent plus. La seule arme d'Olympe, c'est son physique, et pour beaucoup de jeunes filles, c'est le seul atout. Je trouve ça terrible. Faire reposer entièrement son existence sur la beauté c'est... c'est le diable même!»

Elle lance cette dernière phrase en souriant malicieusement. Cette grand spécialiste du XVIIIe siècle a côtoyé de près les libertins, elle sait tout de leurs vices et de leurs enseignements. Elle est bien armée contre notre époque «sadienne», obsédée par les apparences. «À un moment où les femmes ont plus de ressources intellectuelles et financières que jamais, étrangement, la foi mise dans l'apparence s'est comme exacerbée. Je pense qu'entre leurs possibilités objectives d'action dans le monde et leurs certitudes intérieures, il y a un désaccord énorme...»

Le miroir de l'Histoire

Chantal Thomas ne pratique pas le roman historique de façon nostalgique. Pour elle, ces voyages dans le temps se rapprochent de la science-fiction, et plus qu'un divertissement, plus même que l'éducation par l'Histoire, le roman historique nous révèle des réalités de notre présent. «Ça me plaît d'aller très loin dans l'imagination d'autres comportements, car ce qui sous-tend ces comportements, ce sont des émotions très actuelles, note l'écrivaine. Je pense que le roman historique nous apporte une profondeur de champ. C'est important de pouvoir relativiser nos expériences et nos conceptions, par exemple de la maladie, de la mort, de l'amour. Des âges aussi. À cette époque, la carrière d'une jeune fille commençait à 12 ans, un garçon pouvait être officier sur un champs de bataille à 14 ans...»

Chantal Thomas préfère les romans historiques qui s'inscrivent dans un projet d'écriture plus vaste que la simple reconstitution, par exemple les romans de Marguerite Yourcenar, qui offrent aussi des réflexions très personnelles. Apolline et Ursule sont pour leur créatrice les deux facettes d'une lutte intérieure. «Ce sont deux voix en soi, croit-elle. Adolescente, j'avais une idée très exaltée de la volonté, mais j'avais aussi cette tentation d'être tout simplement là, de ressentir le plaisir du moment. Selon les moments de notre existence, c'est l'un ou l'autre qui l'emporte. Je pense cependant qu'une attitude trop volontariste, c'est terrible.»

Ajoutons pour conclure que les fans de l'écrivain seront ravis d'apprendre que le roman Les adieux à la reine sera très bientôt adapté au cinéma par Benoît Jacquot, avec Diane Kruger, Virginie Ledoyen et Léa Seydoux, et que Chantal Thomas y fera même une petite apparition...

Chantal Thomas sera au Salon du livre de Québec samedi et dimanche.

LE TESTAMENT D'OLYMPE, Chantal Thomas, Seuil, 303 pages.