Claude Grenier est réalisateur à Radio-Canada. Marc Forget oeuvre avec Médecins sans frontières. Tous deux ont puisé dans leurs expériences en Afrique pour alimenter leurs premiers romans, Le souffle de Mamywata (Leméac) et Versicolor (XYZ), où la plongée dans le continent noir se fait parfois au péril de sa vie.

Médecin dans le Grand Nord et travailleur humanitaire avec Médecins sans frontières, l'ancien concurrent de la Course destination monde Marc Forget a puisé dans ses expériences en Afrique pour alimenter son premier roman, Versicolor. Si l'auteur a voulu éviter l'autofiction, on sent très vite, par la force d'évocation de certaines scènes, que l'expérience de terrain a nourri la fiction.

David Dupuis, jeune médecin en début de pratique, se remet bien mal d'une rupture amoureuse. Il quitte son emploi en Abitibi pour une première mission humanitaire avec «Médecine internationale». Direction: le Sud-Soudan. Il ne soupçonne pas le choc qui l'attend, la brutalité de l'immersion dans «un monde hallucinant de différences» où il doit quand même trouver une façon de travailler et de se faire comprendre. Confiné dans le périmètre du dispensaire, il fait du tourisme à l'intérieur des gens, «au propre comme au figuré», là où «l'espérance de vie, c'est vingt-quatre heures renouvelables». Il raconte la débrouille quotidienne, la mort omniprésente, la souffrance, l'épuisement, l'impuissance de ceux qui soignent les cas désespérés. Il évoque aussi la guerre, les enfants soldats, les histoires terribles de certains patients, le bonheur aussi parfois, qui surgit du chaos.

Il rencontre aussi l'amour en la personne d'une belle ingénieure franco-danoise, également en mission. David Dupuis ne se remettra jamais complètement de son séjour en Afrique. Lorsqu'il doit rentrer d'urgence à Montréal, son grand ami Loïc est là pour l'aider, peut-être un peu trop pour son bien. Le jeune réalisateur l'emmènera jusqu'en Argentine, sur les lieux d'un tournage.

Saisissant, dispersé sur le plan géographique, Versicolor est également un roman sur la maladie, l'amour et l'amitié. Accessoirement aussi, il explore les affres de la trentaine, les hésitations à se ranger (famille, enfants, banlieue, «piscine en forme de haricot»). David et Loïc se cherchent. Leur amitié comporte aussi des zones d'ombre.

Versicolore: de couleurs changeantes ou variées, dit le dictionnaire. Comme son titre - qui est aussi celui du film que prépare Loïc -, le roman part aussi dans toutes les directions: du monde de l'humanitaire, on passe à celui du cinéma, des conditions extrêmes dans un dispensaire de brousse, au confort d'un chalet au Québec, aux balades en amoureux sur le mont Royal et à l'exotisme des rues de Buenos Aires. «Et aujourd'hui dans cette maison, ce que je comprends, c'est que de tous mes exils magnifiés, il ne me reste rien. Ni quiétude ni nouvelle vérité. Je croyais me délester; me voilà alourdi», constate David.

L'auteur, lui, partage son temps entre un emploi à mi-temps au Nunavut et des missions humanitaires. Il a donc l'habitude de travailler dans un contexte transculturel comme celui qu'il dépeint dans son roman. Le tableau qu'il dresse du petit monde de l'humanitaire est sensible, mais sans complaisance. On y arrive souvent avec ses propres failles. On part «très loin en se croyant très libre alors que c'est souvent le contraire». «Le coeur de l'engagement est tapissé d'exils trop solidaires, de blessures imprécises, de chagrin à revendre», fait-il dire à son personnage. Dans ces «bulles d'apesanteur» où on boit la nuit et travaille comme des cinglés le jour, les idéaux personnels sont parfois en banqueroute. C'est un univers qu'il faut savoir quitter avant d'être broyé par l'amertume.

Revenu affaibli, David ne verra plus qu'en tons de gris. Finie, pour lui, la vie en versicolor.

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Versicolor. Marc Forget. XYZ, 239 pages.