La revue littéraire Liberté a célébré en 2009 son 50e anniversaire, ce qui en fait la plus vieille revue culturelle du Québec. Mais l'une des plus jeunes dans l'esprit de résistance à l'heure actuelle. En publiant une anthologie de ses meilleurs essais, Liberté ne fait pas seulement un devoir de mémoire, elle fait l'événement: L'écrivain dans la cité est un ouvrage de référence majeur pour quiconque s'intéresse à l'histoire de la pensée québécoise. Entrevue avec Pierre Lefebvre et Olivier Kemeid, qui ont dirigé avec Robert Richard cette colossale aventure.

Liberté, c'est 286 numéros qui font environ 30 000 pages sur 50 ans. Il a fallu trois ans au comité de rédaction de la revue pour faire le tri destiné à cette anthologie qui aurait pu faire trois tomes... Pour finalement se concentrer sur les essais. Car ce qui fait la particularité de Liberté, c'est l'engagement des écrivains. Leur regard sur la société québécoise. Ce qui explique probablement sa longévité en comparaison de ses rivales (Cité libre, Parti pris, etc.) qui étaient plus politiques. «Même si la revue a une réflexion politique forte, c'est une réflexion arrimée à la littérature, explique son directeur Pierre Lefebvre. Ce sont presque toujours des écrivains et des poètes qui ont réfléchi sur la politique, la démocratie, le vivre-ensemble, et je crois que c'est cette ligne éditoriale assez souple qui lui a fait traverser toutes les époques. Car au-delà des idées exprimées, des choses importantes à dire, il y a un vrai bonheur de lecture.»

Normal, puisque les plus grandes plumes du Québec ont écrit dans ses pages: Hubert Aquin, Jacques Godbout, Claude Gauvreau, Jacques Ferron, Fernand Dumont, Jacques Brault, Victor-Lévy Beaulieu, André Belleau, François Ricard, Jean Larose, Lise Bissonnette... La table des matières est impressionnante. Les textes le sont tout autant. «Quand j'ai refermé le dernier numéro après les avoir tous parcourus, se souvient Olivier Kemeid, j'avais envie de reprendre les mots de René Lévesque: Liberté, ç'a été quelque chose comme une grande revue.» Le jeune dramaturge est ému d'être l'héritier d'une si riche histoire, commencée en 1959 par Jean-Guy Pilon, qui s'était entouré d'écrivains de l'âge d'Olivier Kemeid. «Ils l'avouent dès le début, alors qu'on est encore sous Duplessis: ils n'avaient pas d'autre nom à donner à la revue que Liberté. Ils avaient besoin d'air.»

Une figure incontournable traverse cette anthologie: Hubert Aquin. «La vraie question a été de savoir quels textes d'Aquin nous n'allions PAS publier tellement ils sont tous percutants», blague Olivier Kemeid. «Je pense que le grand essai qui a été écrit dans Liberté est La fatigue culturelle du Canada français, renchérit Pierre Lefebvre. C'est un texte qui nous est toujours contemporain.» De «la mort du Canada français» à la «résistance culturelle», l'anthologie est divisée selon les grandes périodes de la revue, qui offre ainsi un panorama des thèmes obsessionnels de la pensée au Québec: l'identité, la langue, les institutions, la culture.

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Le comité de rédaction de Liberté depuis 2005 - Pierre Lefebvre, Olivier Kemeid, Evelyne de la Chenelière, Michel Peterson, Robert Richard, Jean-Philippe Warren - veut renouer avec l'esprit des origines de la revue et ce projet d'anthologie, publié chez Le Quartanier, en fait partie. «Les deux mamelles de Liberté ont toujours été l'enthousiasme et l'indignation», souligne Pierre Lefebvre. En 50 ans d'existence, ils reconnaissent que certaines époques ont été moins glorieuses que d'autres à Liberté, qui a failli s'éteindre au tournant des années 2000. Mais ils ont soufflé sur les braises. La situation présente l'exige, à leur avis. «Il y a des points communs très forts entre ce que pouvaient ressentir les fondateurs et ce qu'on peut ressentir nous, estime Olivier Kemeid. Le pouvoir religieux a été remplacé par le pouvoir économique. On ne vit pas sous Duplessis, mais on est en butte à une sorte de censure, puisque la prise de parole intellectuelle dans l'espace médiatique n'a pas cessé de rétrécir.»

«La prise de parole est plus compliquée que dans les années 60 ou 70, croit Pierre Lefebvre. On s'indigne lorsque l'Église catholique censurait Baudelaire, mais si vous proposez aujourd'hui une émission d'une heure sur Baudelaire, Radio-Canada et même ARTV vont refuser. On ne va pas avancer que c'est immoral, mais que ce n'est pas rentable, et le résultat est le même: certaines oeuvres ne se retrouvent plus sur la place publique. Ce qui n'a pas de valeur de profit et de rentabilité immédiate est traité aujourd'hui avec autant de mépris et de condescendance que ce qui était jugé amoral sous l'Église catholique. Or, ce n'est pas parce qu'une chose n'est pas rentable qu'elle n'a pas le droit d'exister. Pour donner une image simple: on ne va pas vivre avec sa blonde parce que c'est «rentable», mais parce qu'on l'aime! La culture, c'est devenu comme la religion: on n'a rien contre, mais il faut faire ça en privé, dans son salon.»

Les dirigeants actuels de Liberté n'ont justement pas envie de rester dans leur salon, pas plus que dans une tour d'ivoire. Liberté s'adresse à tous, bien que publiée à 700 exemplaires, et victime des coupes aux revues culturelles de Patrimoine Canada. «La vraie opposition officielle de n'importe quel pouvoir politique, c'est la culture, résume Pierre Lefebvre. C'est là que se dit ce qui n'est pas dit ailleurs. Il faut un contre-pouvoir, sinon, c'est le début de la fin.»

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Anthologie Liberté - L'écrivain dans la cité 50 ans d'essais. Sous la direction éditoriale de Pierre Lefebvre, Olivier Kemeid et Robert Richard. Le Quartanier, 462 pages.

Photo: Robert Mailloux, archives La Presse

Lise Bissonnette, autrefois à la tête de la Grande Bibliothèque, a également écrit dans la revue Liberté.