La relation passionnelle entre deux frères, Ambroise et Rosaire, tous deux descendants de Jean Nicolet, est au coeur de Polynie, deuxième roman de Mélanie Vincelette, qui se déroule dans le Grand Nord, magnifié et modernisé d'étincelante façon par la langue et l'érudition de l'écrivaine. Un mot: magistral.

«J'ai voulu camper le Nord en 2011, dit Mélanie Vincelette. Je voulais décrire ce lieu-là comme on décrit Paris et New York. Je n'ai pas voulu mettre d'aurores boréales, ni refaire Agaguk...»

Dans son bureau des éditions Marchand de feuilles, qu'elle a fondées à 26 ans et qui célèbrent leur 10e anniversaire cette année, Mélanie Vincelette éclate de rire souvent. Aucune malice dans cette femme manifestement heureuse de son sort, toujours dans un enchantement du monde qui transparaît dans ses romans. Personne ne lui soutirera des déclarations fracassantes ou amères sur l'univers de l'édition ou les tendances énervantes de la littérature contemporaine. Elle fait partie de cette famille d'écrivains qui nagent dans le «réalisme merveilleux» - c'est d'ailleurs une fan de Salman Rushdie. Un mot, une anecdote, un fait divers, n'importe quel détail est prétexte à l'émerveillement pour elle.

Mélanie Vincelette affirme avoir beaucoup voyagé dans sa vie pour finalement trouver ce qu'elle cherchait chez elle: le Nord. Sans vouloir tomber dans le cliché, c'est vraiment le grand personnage de Polynie - c'est le nom que l'on donne à ces trous «éternels dans la glace». «Une source de vie et de nourriture inespérée dans l'hiver polaire, écrit-elle. L'ouverture est entretenue par les vents et les courants, mais aussi les baleines, qui doivent remonter à la surface toutes les vingt minutes pour respirer. Elles empêchent la glace de se refermer. Les ours polaires viennent pêcher dans ces eaux fertiles au plus noir de l'hiver.»

Le roman regorge de ces informations confinant presque à la science-fiction parfois, typiques du style encyclopédique de Vincelette, qui conserve toujours un souci poétique dans l'érudition. Avec pour résultat un Grand Nord parfaitement incarné, moderne et exotique à la fois. Si proche et si loin de nous aussi.

«Je pense que pour avoir un pays, il faut investir le territoire et s'imbriquer dans son imaginaire, note-t-elle. C'est important aujourd'hui d'écrire notre culture et de la créer. Il faut apprendre, il faut connaître ces choses-là et les mettre en oeuvre dans notre littérature qui est très jeune. Il faut sublimer ce qu'on est. Il faut aimer ce qu'on est. J'ai carrément voulu inventer dans ce roman une gastronomie du terroir arctique!» La sentence inuit en exergue du roman est justement: «estime-toi»...

Si proche et si loin, comme le sont aussi Rosaire et Ambroise, les deux frères du roman, qui s'ouvre sur le meurtre de Rosaire, dont le corps a été découvert à Iqaluit. Plus Ambroise investigue - donnant au roman une tournure policière - plus il découvre des côtés méconnus de ce frère qu'il adore et jalouse en même temps, et avec lequel il partage les passions et les femmes. «Dans le fond, ce que j'adore vraiment raconter, c'est l'amour, confie Mélanie Vincelette. Le présupposé de toute cette constellation de personnages, c'est que même nos proches, on ne les connaît pas très bien, comme on ne connaît pas non plus notre histoire.»

Les Chinois ont-ils découvert l'Amérique?

Dans Polynie, on n'est pas dans le Grand Nord pour faire joli et original, c'est en fait un roman d'une grande actualité. En cela alimenté par des informations de première main, puisque le frère de Mélanie Vincelette est cuisinier dans une mine - comme Ambroise - à Marie River. Il lui raconte un paquet d'anecdotes sur la vie quotidienne dans l'Arctique, si particulière en raison de l'isolement et des conditions exceptionnelles de la nature.

Ce penchant pour l'aventure est un trait de famille. Mélanie Vincelette a grandi avec ses deux frères «dans le bois», sans télévision, élevée par un père chasseur qui les faisait dormir dans les peaux de lièvres. Son imaginaire se nourrissait des récits de son oncle, exilé dans une mine lui aussi, en Colombie-Britannique, et qui leur envoyait des enregistrements sur cassette en guise de lettre. «Pour moi, c'était magique, extraordinaire, se souvient-elle. J'ai toujours été habitée par cet esprit d'aller au Nord pour trouver une vie meilleure et devenir riche.»

C'est le grand rêve de ce territoire qu'apprécie Mélanie Vincelette, qui compare dans son roman la vie en Amérique et en Europe aux grands vins. «En France, c'est le terroir qui nous définit et nous dit qui l'on est, alors qu'ici, ce sont des vins d'accomplissements», note-t-elle. D'ailleurs, il y a tout dans Polynie pour nourrir les désirs exotiques du public français, qui découvrira le roman peu de temps après nous, puisque la sortie est prévue pour le Salon du livre de Paris. Dans la foulée, Crimes horticoles, le précédent roman de Mélanie Vincelette, sort dans la collection Points du Seuil.

Mais il y a une réalité en rien exotique du Grand Nord, qui défraie de plus en plus la chronique après avoir été longtemps ignorée. Aux premières loges du réchauffement climatique, il est aussi devenu un espace convoité par les grandes puissances, puisqu'il est rempli de richesses.

«Les Russes viennent en drones dans notre ciel, ils ont planté un drapeau dans le fond de l'océan, AcelorMittal vient d'acheter une mine pour quelques milliards de dollars, le sous-sol du Nunavut n'appartient pas aux Inuits... Le Nord, on le brade, c'est un vrai Far-West.» Et, tient-elle à préciser, c'est la réalité des Blancs installés au Nord qu'elle décrit dans Polynie.

En guise de clin d'oeil sur la potentialité explosive de cette vaste étendue au-dessus de nos têtes, l'écrivaine mentionne aussi la découverte d'une carte maritime prouvant qu'en fait, ce sont les Chinois qui ont découvert l'Amérique...

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Polynie. Mélanie Vincelette. Robert Laffont, 210 pages.