Un peu moins discrètement que Joe Hill, qui ne s'affiche pas comme le fils de Stephen King et s'est fait un nom par lui-même dans une littérature parente à celle de son père, Nick Harkaway va sous le patronyme d'un personnage d'une série de livres écrite au début des années 1900 pour faire sa place dans le monde du livre - mais, lui, dans une niche différence de celle creusée par son célèbre paternel, John le Carré. Il aurait pu opter pour leur véritable nom de famille, Cornwell... mais il existe déjà une Patricia et un Robert affichant cette note-là en page couverture. Bref, près de trois ans après sa publication en version originale, nous arrive, sous le titre long et lourd de Gonzo Lubitsch ou l'incroyable odyssée, ce qui s'intitulait au départ, de façon plus attrayante, The Gone-Away World.

Fable futuriste, science-fiction mâtinée de manga, roman initiatique ne dédaignant pas l'humour absurde, ce gros roman est campé dans un monde post-apocalyptique dont la colonne vertébrale est la Canalisation Jorgmung, du nom de l'entreprise qui la possède et la gère, et par laquelle transite une substance essentielle à la survie des poches d'humanité disséminée ici et là sur un monde «effacé». On y suit Gonzo Lubitsch, «héros» de profession, impulsif, l'homme de toutes les attentions, raconté par un narrateur plus effacé mais ô combien observateur. Le roman s'ouvre alors que ladite canalisation est en feu. Accident? Attentat? Que ce soit l'un ou l'autre, causé par qui? Et pourquoi?

C'est le point de départ d'une aventure échevelée portée par des personnages nombreux et colorés. Une aventure trépidante, qui (se) joue des styles et des genres. Trop, peut-être. L'auteur en a en effet fait beaucoup. Il devient ainsi difficile d'entrer dans son univers, qui se révèle par bribes intrigantes mais distribuées avec parcimonie. D'autant que lorsqu'on a l'impression de s'être familiarisé avec les gens et les lieux, un saut dans le temps nous entraîne ailleurs. Nouvelle acclimatation et... vlan! Nouveau détour. Puis retour vers le futur. Le tout semblant plus justifié par une volonté de «faire différent» que de servir le récit.

Pourtant, pour qui persévère, cette «incroyable odyssée» offre des moments savoureux et d'une formidable originalité. Mais encore faut-il vouloir persévérer...