Louise Penny, ex-animatrice de la radio de la CBC, a attendu 46 ans avant d'écrire son premier polar. Depuis, celle qu'on surnomme la Agatha Christie des Cantons-de-l'Est rattrape le temps perdu en enchaînant les enquêtes du sympathique Armand Gamache, directeur des homicides à la Sûreté du Québec. Alors que Sous la glace, son deuxième polar, vient de paraître en français chez Flammarion et que Bury Your Dead, son sixième, vient de paraître en anglais, elle planche déjà sur la septième enquête, campée une fois de plus dans le village inventé de Three Pines, dans les Cantons-de-l'Est.

À 35 ans, après plus de 17 ans de fidèles et loyaux services à la radio de la CBC à Toronto, Winnipeg, Québec et Montréal, Louise Penny a accroché son micro et remis sa démission. Ce jour-là, elle a annoncé à son mari, Michael Whitehead, l'ex-chef de l'hématologie d'Hôpital de Montréal pour enfants, qu'elle allait enfin réaliser son rêve: écrire un roman.

Pas de problème, lui a répondu son mari. Je te ferai vivre pendant que tu écriras. Le lendemain, Louise Penny aurait dû en principe se mettre au travail. Mais l'angoisse de la page blanche s'est abattue sur elle. Au lieu d'écrire, Louise Penny s'est mise à regarder Oprah et à bouffer des bonbons. Sa page est restée blanche pendant... cinq ans. Chaque fois que quelqu'un lui demandait comment allait son livre, une saga historique sur Madeleine La Rocque de Roberval, Louise Penny mentait. «Ça va bien. Très bien.»

«J'étais dévastée, raconte-t-elle. J'avais enfin la possibilité de faire ce que j'attendais depuis toujours et mes doutes et mes insécurités sabotaient tout. L'enfer.»

Nous devions nous rencontrer à Sutton, dans un bistro où une bûche aurait flambé dans le foyer et jeté des éclats orangés sur les planchers en bois franc pendant qu'on nous aurait servi un chocolat chaud gorgé de crème fouettée. C'était l'idée de départ, directement inspirée du cadre de Sous la glace qui se passe dans le village inventé de Three Pines, au coeur des Cantons-de-l'Est.

Mais les idées de départ, dans la vie comme dans les livres, ne se rendent pas toujours au fil d'arrivée. C'est finalement chez Nick's, un casse-croûte de l'avenue Greene à Westmount, que nous nous retrouvons. Louise Penny, 53 ans, m'attend sur une banquette en simili-cuir, vêtue de gris perle de la tête aux pieds, avec un sourire chaleureux accroché aux lèvres et un sens de l'autodérision parfaitement dévastateur.

Écouter Louise Penny se moquer d'elle-même, de la chipie cynique, alcoolique et désabusée qu'elle était à 30 ans, de ses idées de grandeur, de sa peur du jugement des autres, c'est comme plonger dans un de ses polars et retrouver des bribes d'elle dans ses personnages. Dans Clara, l'artiste qui doute de son talent, dans Yvette Nichol, la frustrée et la fourbe, dans Armand Gamache, le gentleman détective inspiré de Jacques Parizeau et Roméo Dallaire.

C'est aussi aller à la rencontre d'un monde douillet et anglo-saxon où il n'y a pas de sexe, mais où la bouffe et le bon vin abondent. «Je parle de bouffe parce que j'adore manger, d'alcool parce que j'ai déjà bu et que je ne bois plus. Quant au sexe, je lui préfère l'amour et l'intimité. Il y a des écrivains doués pour écrire de bonnes scènes de sexe. Ce n'est pas mon cas.»

Les tourments que vivent ses personnages, on sent que Louise Penny les a vécus avant eux. Non seulement elle n'en est pas morte, mais elle a réussi à transformer ses tourments en or. Lauréate trois années de suite du prix Agatha, abonnée de la liste des best-sellers du New York Times, elle est publiée partout dans le monde et traduite dans 15 langues. Bref, elle est la preuve vivante qu'il y a de la lumière au bout du tunnel de la page blanche. Comment a-t-elle fait?

«Ce n'est jamais une seule chose, mais une séquence d'événements qui font que ça débloque. D'abord, nous avons déménagé à Sutton, où je me suis liée d'amitié avec un groupe de femmes artistes qui m'ont inspirée parce qu'elles faisaient leur petite affaire avec passion et sans se soucier du jugement des autres. Et puis, face à la pile de polars sur ma table de nuit, j'ai constaté que c'était le genre littéraire qui me plaisait le plus. J'ai alors décidé d'écrire un livre pour moi et d'abandonner Madeleine de Roberval pour Armand Gamache. Je n'avais plus qu'un but: écrire un seul livre et le faire publier. Point.»

La peur d'écrire

Louise Penny a mis deux ans à écrire Still Life (En plein coeur en version française), puis deux ans à encaisser les refus des maisons d'édition de partout. À la longue, elle a fini par croire qu'elle n'avait pas sa place dans le monde des polars.

«J'étais déçue, mais en même temps, je comprenais les éditeurs de New York ou de Londres de n'en avoir rien à cirer d'un petit village perdu du Québec et d'un livre où il n'y avait ni psychopathes, ni tueurs en série qui torturent les gens et les découpent en petits morceaux.»

Dans un ultime sursaut de foi ou de désespoir, Louise Penny a quand même inscrit son polar dans un concours britannique de premières oeuvres. Contre toute attente, pour elle du moins, son manuscrit a été choisi avec neuf autres parmi 800 candidatures. Elle n'a pas remporté de prix, mais elle a gagné l'attention d'un agent littéraire qui a offert de la représenter. Un mois plus tard, les éditeurs se bousculaient à sa porte avec des contrats pour deux autres livres. Et là, tout s'est écroulé à nouveau.

«Mon premier roman avait été écrit en toute liberté, sans pression ni échéance. Mais là, j'avais une commande. J'ai freaké et j'ai écrit le premier jet de Sous la glace dans un état de terreur extrême. C'était pourri. J'ai consulté une psy. «Dites à votre critique en résidence de dégager et laisser venir l'écrivain en vous», m'a-t-elle conseillé. Quelques mois plus tard, j'ai pris un café avec l'auteur de polars victoriens Anne Perry. Elle n'avait qu'un seul conseil: écris. Arrête de te faire des peurs et de tout dramatiser. Écris avec passion et courage. Écris ce que tu veux, mais écris!»

Ainsi est né Sous la glace, qui vient tout juste de sortir en français chez Flammarion et dont la traduction ne rend pas toujours justice à l'humour corrosif de Louise Penny. Chose incroyable, au cours des cinq dernières années, ses romans ont été publiés dans une quinzaine de langues, mais pas en français et encore moins au Québec, même si le Québec, la SQ et un Québécois de souche en sont le coeur. «Pourquoi, je l'ignore, dit-elle. Mais heureusement, ils sont en train de rattraper le temps perdu. Mes deux premiers viennent d'être traduits. L'été prochain, les quatre autres seront publiés en français chez Actes Sud.»

Louise Penny raconte qu'elle est devenue journaliste parce qu'elle avait peur d'être écrivaine. Elle ajoute qu'il n'y a rien de plus facile au monde que d'être un journaliste cynique et désabusé. Elle en sait quelque chose. Elle n'a jamais regretté une seule seconde sa décision de quitter le métier pour écrire. Quant à la critique en résidence qui la visite encore certaines nuits, elle l'invite poliment à faire de l'air et à la laisser écrire en paix. Et plus ça va, moins la critique ose la contredire...