Le repos de fin d'année y prédispose: méditations joyeuses sur les grandes questions de l'existence. L'énigme de la création, avec Jean d'Ormesson, et la poursuite du bonheur malgré les passions, avec Alexandre Jollien.

«Pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien?» La question a frappé Jean d'Ormesson alors qu'il nageait dans la Méditerranée.

Agnostique, il ne sait pas. Il espère. Il écrira ce livre pour tenter d'y voir clair, empruntant le titre à un poème d'Aragon, C'est une chose étrange à la fin que le monde.

Que savons-nous? Grâce à la science, beaucoup de choses longtemps ignorées. «Presque rien», en somme, conclut-il. «Sur le temps et la mort, nous en savons autant que les hommes de la préhistoire.»

Son «roman» de l'univers et de l'humanité est d'abord une longue rêverie où il se place dans la posture émerveillée du Candide de Voltaire. Il imagine un monologue croisé entre lui-même, qui résume l'histoire de la vie, de la science et de la philosophie, et Dieu en personne, qu'il appelle «le Vieux».

Croyants, athées et agnostiques s'y retrouvent. Dieu, ici, est compris comme «ce rien éternel qui se confond avec tout, dont le monde est sorti, où il retournera.» Le grand rien d'avant le Big Bang. Là où le temps et l'espace prennent une dimension inconcevable. Là où l'univers ira lorsqu'il ne sera plus.

Passionnantes, ces pages où il expose la grande quête des hommes pour découvrir les lois de la nature, comment ils inventent des théories qui «rendent compte des apparences». Comment certaines ont semblé chasser Dieu, comme la théorie de l'évolution, alors que d'autres, comme celle du Big Bang, l'ont fait rentrer par la porte arrière...

Après avoir exposé l'immensité du très grand et du très petit, la table est mise pour réfléchir à la question de fond: qu'est-ce que nous faisons là? Finalement, le dernier et plus court chapitre parle de la mort, à la fois énigme et certitude. Loin d'être sombre ou austère, l'académicien octogénaire garde un regard joyeux tout au long de cette quête de «la vérité la plus juste possible», en gardant toujours l'érudition accessible, avec un sens de la formule qui rend limpide ce qui est difficile à concevoir et un art de rassembler des choses sues, mais éparpillées dans notre mémoire.

«Dieu existe-t-il? Dieu seul le sait.»

Au terme du voyage, il retient quatre sentiments: l'admiration, la gaieté, la gratitude et un mélange de chagrin pour le mal, de pitié pour la souffrance et d'espérance. Il s'interroge aussi sur les bons livres, ceux qui changent un peu les lecteurs. Pas de doute, le sien en fait partie.

La philosophie qui aide à vivre

De l'âge de 3 à 20 ans, Alexandre Jollien a vécu dans un établissement pour personnes handicapées. C'est là qu'il a d'abord perçu que le sens de la vie était la joie. «C'était ça ou la résignation», a-t-il déjà expliqué. Il a aussi découvert que la philosophie l'aidait à vivre. En sortant de l'institut - ce qui n'était pas gagné d'avance - il a entrepris des études de philosophie. Celui que la paralysie cérébrale destinait à «rouler des cigares» gagne aujourd'hui sa vie en écrivant essais et chroniques et en donnant des conférences. Marié, trentenaire, il est père de deux jeunes enfants qu'il accompagne tous les jours à l'école.

Sous forme de journal intime, Le philosophe nu, est selon lui son ouvrage le plus personnel. Il s'y montre vulnérable, exposant ses obsessions et ses peurs. C'est que tout en professant l'importance du détachement, l'intellectuel suisse est tourmenté par sa jalousie pour le corps des hommes de son âge, beaux et fiers, capable de séduire et donc d'accéder directement au bonheur... Dans son cas, si les gens se retournent sur son passage, c'est plutôt en raison de sa démarche ou de son langage, qui inspire parfois la moquerie bête et méchante.

Entre les mots et la pratique, il y a un gouffre, d'où ce journal, explique-t-il. Il entreprend donc un travail sur lui-même pour se guérir. En chemin, il s'appuie ici et là sur des philosophes occidentaux et zen, s'astreint à des exercices, jusqu'à vouloir se détacher... du détachement!

Car il lui vient la tentation de bannir toute passion pour trouver l'apaisement. Il se souvient alors de Descartes: ceux que les passions peuvent le plus émouvoir sont capables de «goûter le plus de douceur en cette vie». Que penser d'une existence privée d'admiration, d'étonnement, de joie, d'amour?

«Je crains une sorte de récupération individualiste des exercices spirituels, écrit-il. Ils permettraient de se blinder et de moins souffrir, de se bricoler un bonheur dans son coin.» Or, plus il relit Epictète, Épicure ou Marc-Aurèle, plus il entend un appel à s'ouvrir au monde. «Chez eux, aucun fatras de recettes. Juste une manière d'être, de vivre et de penser.»

Adepte de méditation, croyant, bien qu'il soit peu bavard sur sa foi, il ne propose pas lui non plus de réponses toutes faites. Ses conclusions n'ont rien de bien neuf mais rassurent sur le sérieux de sa démarche: «si la joie vient de l'adhésion au réel», ne pas nier ses pulsions, mais ne pas s'y attarder non plus. «Ne pas saisir ni refuser, vivre à fond chaque instant. Pas besoin de jouer un rôle, juste se laisser être.» Tout en se rappelant que ses fragilités sont un lieu d'apprentissage, que l'humour, le rire et l'amour de sa famille sont aussi des guides pour ne pas se laisser détourner de l'essentiel.

C'est une chose étrange à la fin que le monde

Jean d'Ormesson

Robert Laffont, 314 pages

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Le philosophe nu

Alexandre Jollien

Seuil, 200 pages

***1/2