Il est pingre. Il est vil. Il compte scrupuleusement ses «piasses». Il traite la pauvre Donalda comme une esclave. Dans l'esprit d'une génération de Québécois, Séraphin Poudrier a incarné le mal, l'obscurantisme, la mesquinerie et autres péchés. Cet être monstrueux né de l'imaginaire de Claude-Henri Grignon revient nous hanter, cette fois dans une réédition par la maison Les 400 coups des récits illustrés par Albert Chartier.

«Encore aujourd'hui, certaines personnes prétendent avoir connu quelqu'un qui a déjà rencontré le «vrai» Séraphin.»

L'immonde Séraphin Poudrier est un personnage fictif, précise Pierre Grignon, petit-neveu du journaliste, pamphlétaire et auteur des Belles histoires des pays d'en haut. Il faut savoir que l'illustre «gratteux» a hanté l'esprit des Canadiens français, qui avaient canalisé dans cet emblème du mal la frustration associée à une existence de privation et de pauvreté.

«Claude-Henri Grignon a baigné dans une atmosphère de paysans et d'agriculteurs, à une époque de pauvreté où les gens ont connu le froid, la faim, où des enfants allaient à l'école pieds nus», rappelle Pierre Grignon.

Ange maudit

Dans la Bible, le «séraphin» est un ange pourvu de trois paires d'ailes. Dans les familles du Québec catholique d'autrefois, on baptisait Séraphin l'aîné des garçons. Mais à partir de 1948, ce prénom maudit dans l'imaginaire du Québec des années 40 à 60 a disparu.

La légende veut aussi que, lors des présentations des Paysanneries, la production théâtrale des Belles histoires des pays d'en haut avec Hector Charland et Estelle Mauffette - qui attiraient des foules de 3000 à 4000 «fidèles» -, des spectateurs se levaient pour manifester leur soutien à la pauvre Donalda, qui se faisait malmener par son détestable mari.

La version illustrée de l'histoire - qui n'est pas une version illustrée de la production télévisuelle, mais bien un contrepoint au téléroman - est apparue en 1951 dans Le Bulletin des agriculteurs.

«Le Séraphin illustré, que nous rééditons en 2010, avait fait la joie de millions de Canadiens français du Québec, mais également des provinces canadiennes et de la Nouvelle-Angleterre, lors de sa publication originale dans Le Bulletin des agriculteurs», indique Pierre Grignon dans sa préface du livre, qui vient d'être lancé.

Le Séraphin dessiné par l'illustrateur Albert Chartier prend, à partir de 1960, les traits de l'acteur Hector Charland, celui dont le visage reste à jamais associé au célèbre radin.

Nous sommes en 1889 et Séraphin, qui a 40 ans, vient d'épouser la jeune Donalda. Au fil du récit, apparaissent les fameux personnages d'Alexis Labranche, du père Ovide, de mam'zelle Angélique, Bill Wabo, Pit Caribou...

Chaque épisode (dont l'issue tourne souvent en queue de poisson) est teinté par l'incroyable pingrerie du héros, prêt à toutes les bassesses et mesquineries pour sauver une «piasse». En introduction, la réédition des 400 Coups offre au lecteur une présentation contextuelle de ce récit qui a marqué la mythologie québécoise.

Le lecteur qui, pour la première fois, s'immisce dans le passé rural québécois se délectera bien sûr des savoureuses expressions inventées de toutes pièces par Claude-Henri Grignon. Du «sainte Misère, priez pour nous» de Donalda «la sainte», aux «viande à chien», «cré tac» et «shack à Wabo» de Séraphin, le langage de l'oeuvre a à jamais contaminé la langue québécoise.

Séraphin est de retour. Rien ne se perd, rien ne se crée. Et Fred Pellerin n'a rien inventé...

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Séraphin illustré, de Claude-Henri Grignon et Albert Chartier, éd. Les 400 coups, 264 p., 29,95 $