Le désert mauve, roman subjuguant de Nicole Brossard publié en 1987, a été réédité cette année chez Typo. L'auteure et poète, qui sera ce soir au Salon du livre de Montréal, a bien voulu parler avec nous de ce qu'a représenté ce livre pour elle - tout en discutant poésie, féminisme et quête de sens.

Livre dans le livre, mise en abîme, déconstruction: Nicole Brossard a écrit un roman audacieux - comme tout le reste de sa production romanesque, d'ailleurs. Le désert mauve, c'est d'abord le court récit d'une auteure, Laure Angstelle, qu'une femme, Maude Laures, a décidé de traduire et qui deviendra Mauve, l'horizon. Les deux versions sont placées au début et à la fin du livre, et entre les deux, des questions de la traductrice, des dialogues imaginaires, des mises en perspective.

Q : Comment est né Le désert mauve?

R : Il est né de ma fascination pour les processus de transformation. J'ai beaucoup regardé travailler mes traductrices, et j'étais intéressée par les paragraphes soulignés de différentes couleurs, les notes dans les marges. Il y a donc le passage d'une langue à l'autre, mais aussi le fait que notre identité se construit avec la langue, quelle que soit notre expérience. Le défi était de me traduire du français... au français. J'avais une marge de manoeuvre, mais elle était mince.

Q : Qu'est-ce qui vous a inspirée?

R : Je voulais que le roman se situe dans un endroit où la chaleur est intolérable, où le corps n'échappe pas à son environnement. J'ai pensé au désert, qu'on associe à la mort, mais où la vie trouve toutes les astuces pour continuer à être.

Q : C'était un roman audacieux?

R : Dans mon écriture, il y a toujours eu une recherche. Je m'ennuie dans la construction sujet-verbe-complément, il faut qu'il arrive quelque chose dans la phrase elle-même. Mon inscription dans le romanesque, c'est une pensée qui questionne, qui cherche à découvrir le monde. Raconter n'est pas mon affaire et je ne me vois pas comme un témoin de mon temps. Mon rôle est d'explorer et mon moteur est le désir de projeter vers l'avant.

Q : Qu'avez-vous fait pendant la dernière année?

R : J'ai voyagé beaucoup pour des conférences, des lectures, des festivals de poésie. Puis je viens de terminer un recueil de poèmes.

Q : Quelle place occupe la poésie dans votre vie?

R : Ce serait toujours le temps de la poésie, mais tous les cinq ans, il y a un roman qui pousse, des questions qui cherchent à être formulées. Parfois aussi il y a un besoin de l'essai, plus rationnel, plus cohérent.

Q : La poésie se porte-t-elle bien au Québec?

R : Je pense que oui, parce qu'il y a nouvelle génération de gens de 25 à 35 ans qui sont poètes, éditeurs, grands lecteurs. À mon avis, on est dans une période de renouveau. Nous avons passé une grande période de désenchantement, et je commence à être réenchantée... mais pas par les politiciens!

Q : Le désert mauve est un roman féministe. Est-ce que ce type de réflexion existe toujours?

R : J'ai travaillé avec la conscience féministe, mais ce n'est pas juste féministe, ce serait bien triste pour le roman. Il y a encore des femmes qui ont cette conscience, mais c'est plus doux, glissé, intégré dans l'écriture. Il y a eu des moments de grande turbulence et de grande colère qui étaient nécessaires, qui sont uniques et précieux. Mais on ne peut pas être en colère toute sa vie, même si j'ai des raisons de l'être autant aujourd'hui qu'à 20 ans. L'injustice, la gourmandise, la bêtise ne sont pas disparues. Pendant que les citoyens essaient de comprendre le monde, les vautours savent ce qu'ils veulent.

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Une rencontre avec Nicole Brossard aura lieu ce soir à 18 h 45 à l'Agora Van Houtte du Salon du livre.