C'est dans la cohue médiatique la plus totale comme seuls les Français sont capables d'en provoquer autour d'un prix littéraire que Michel Houellebecq est allé chercher le Goncourt que tous lui prédisaient pour La carte et le territoire. Car Houellebecq et le Goncourt, c'est une longue histoire qui a fréquemment déclenché les passions en France.

En 1998, on ne comprenait pas pourquoi cette bombe qu'était Les particules élémentaires avait été écartée au profit de Confidence pour confidence de Paule Constant. Certains parlaient de scandale et Houellebecq lui-même avait laissé entendre que le Goncourt s'achetait. En 2001, ce sont probablement ses déclarations incendiaires - «la religion la plus con, c'est quand même l'islam», vous vous souvenez? - qui lui avaient coûté le prix, alors que Plateforme était en lice. En 2005, la grosse machine de promotion entourant La possibilité d'une île avait irrité tout le monde et c'est à une voix qu'il avait perdu devant Trois jours chez ma mère de François Weyergans.

Il aura mis 10 ans, mais cette fois-ci était la bonne. Par sept voix contre deux pour Virginie Despentes, qui se retire avec le Renaudot pour Apocalypse Bébé, publié chez Grasset. Les jurés auront ainsi récompensé deux des voix les plus discordantes de la littérature française actuelle. Signe des temps? Nos cousins sont obsédés par la décadence et la disparition d'une certaine idée de la France, la morosité est palpable, et ces deux écrivains répondent à ces angoisses...

La critique était quasi unanime pour La carte et le territoire, publié chez Flammarion, en dépit des accusations de plagiat de Wikipédia qui sont restées lettre morte. Comme si on voulait en finir avec ce jeu de cache-cache envers l'un des écrivains français vivants les plus lus dans le monde. Et pour une rare fois, on a pu voir le réputé misanthrope sourire, et même déclarer qu'il était heureux! «C'est une sensation bizarre, mais je suis profondément heureux, a-t-il dit devant la presse au restaurant Drouant, en conservant son calme légendaire au coeur de l'émeute. Il y a des gens qui ne sont au courant de la littérature contemporaine que grâce au Goncourt, et la littérature n'est pas au centre des préoccupations des Français, donc c'est intéressant.»

Peintre ès moeurs

Décrit comme un sociologue ou un peintre des moeurs de notre temps, Houellebecq dissèque la déprime et la chute de l'homme occidental depuis Extension du domaine de la lutte. La carte et le territoire, son cinquième roman, vogue dans les mêmes eaux, mais sur un ton plus humoristique, moins dépressif et dans un style beaucoup plus classique. «C'est peut-être le plus facile à lire, certainement le plus compliqué en construction», concède l'écrivain. Dans ce roman, l'artiste Jed Martin devient célèbre en reproduisant des cartes de la France, et demande à l'écrivain Michel Houellebecq d'écrire le texte de sa future exposition. Prétexte romanesque pour aborder les sujets de la célébrité, de l'art, des médias, de la littérature. Tout le monde en prend pour son rhume, Houellebecq compris, puisqu'il aura droit à un assassinat plutôt savant et sadique.

Tout aussi provocante, Virginie Despentes, cette «féministe et anarchiste» qui avait secoué le monde des lettres avec Baise-moi en 1994. Dans le style trash qui a fait sa marque, mais en plus maîtrisé, elle propose dans Apocalypse Bébé une enquête menée par deux femmes, l'une détective et moche, l'autre belle et lesbienne, qui doivent retrouver une adolescente en fugue.

«Ça me fait plaisir que ce soit avec Michel Houellebecq, a-t-elle déclaré à BFMTV. Ça m'impressionne parce qu'on a publié notre premier roman en même temps et que c'est quelqu'un que j'ai bien connu et que j'aime bien. En même temps, ça veut dire qu'on a l'âge, quoi. Ça y est.»