Après les imposants Le vide et Hell.com, Patrick Senécal publie une «novella» à l'invitation des éditions Coups de tête, Contre Dieu, qui s'inscrit dans la même lignée obsessionnelle que ses deux romans précédents. À un point tel qu'il voit presque ces livres comme une trilogie «pessimiste-réaliste» dans son parcours. On aurait envie de dire une sombre trinité...

Patrick Senécal, l'un de nos écrivains les plus lus et les plus adaptés au cinéma (Sur le seuil, 5150 rue des Ormes, Les sept jours du talion) clôt avec Contre Dieu une période très réaliste dans son écriture. En effet, dans ses derniers romans, on remarque que l'épouvante n'est jamais créée par quelque chose de surnaturel. C'est que l'horreur et la peur, chez Senécal, prennent toujours racine dans des craintes bien personnelles.

Cette fois, nous suivons un homme dans sa folle colère contre le destin qui lui a ravi femme et enfants dans un bête accident de voiture. «Contrairement aux Sept jours du talion, il ne peut se venger de personne, car personne n'est coupable, explique l'auteur. Il est en colère contre l'idée que peu importe ce qu'on fait, peu importe ce qu'on met en place dans sa vie pour s'assurer une certaine sérénité, tout cela peut disparaître. Il se dit que, tant qu'à ne rien contrôler, aussi bien semer le chaos. Il se défoule sur tout. Il défie le destin. Mais c'est un combat perdu d'avance, car lorsque tu es en révolte contre la vie, tu ne peux que perdre.»

Moins violent mais toujours aussi sombre, ce Contre Dieu, dont le personnage principal n'est jamais nommé sauf par un «tu» du narrateur omniscient qui l'observe s'enfoncer dans une spirale dramatique. «J'ai l'impression que s'il m'arrivait la même chose, je pourrais tomber dans une révolte, ce serait mon genre, confie Senécal. Je suis rendu à 43 ans, il me semble que j'ai mené une bonne vie, tout va bien, mais tout pourrait disparaître. C'est une idée qui m'obsède depuis quelques années. Je me suis toujours moqué un peu de la crise de la quarantaine avant d'avoir mes 40 ans, mais c'est vrai que cela amène un questionnement, une remise en question. Oui, j'ai eu une passe «pessimiste-réaliste», Le vide venait de mon écoeurantite de la téléréalité, Hell.com de l'internet et Contre Dieu, continue cette idée du vide de la vie. Il y a quelque chose qui relie ces trois romans, mais j'ai besoin de sortir de ça et ma prochaine série va aller ailleurs...»

Humour noir et websérie

Des projets, Patrick Senécal en a plein. Depuis trois ans, il fait partie de ces rares écrivains qui peuvent se vanter de vivre de leur plume. Cet automne, il donne exceptionnellement un cours au cégep, parce qu'il s'ennuyait de l'enseignement, mais aussi parce qu'il prépare une série romanesque, Malphas, qui se déroulera justement dans un cégep. «J'appelle ça mon Virginie sur l'acide, dit-il. Écrit du point de vue des professeurs, qui sont tous fuckés. Ce sera pas mal trash, baveux, pas gentil, avec beaucoup d'humour.»

Mais pour l'instant, il planche sur sa websérie, un projet personnel fait avec les moyens du bord, qu'il réalise lui-même: reinerouge.tv, inspirée par le personnage de Michelle dans 5150 rue des Ormes et Aliss. Nous saurons au printemps ce qui s'est passé pour elle entre les deux romans. «Je me sens comme un kid qui s'amuse avec sa caméra dans son sous-sol!».

Enfin, il reste toujours le cinéma. Nouveau financement pour Sept comme Setteur, son livre pour enfant dont il est en train d'écrire le scénario, tandis que le projet d'adapter Le vide (avec Podz), est toujours dans l'air.

Alors oui, il se trouve chanceux, mais il dit cela toujours avec cette pointe d'inquiétude, comme si l'épée de Damoclès était en permanence au-dessus de sa tête - menace qui, loin de le paralyser, semble être le moteur même de sa créativité. «Avant, dans mes livres, c'était l'Autre qui me terrifiait. En ce moment, c'est l'idée qu'on ne contrôle pas grand-chose. Je me rends compte que je peux mourir demain matin et ça me fait peur. J'ai toujours été obsédé par la mort, mais c'est nouveau que je sois obsédé par la mienne! Ce n'est pas que la vie est injuste, c'est qu'il n'y a aucun esprit décisionnel, le destin frappe aveuglément. Je dois faire la paix avec ça.... Mais j'ai l'impression que quand tu envisages le pire, tu es plus capable d'y faire face. En somme, c'est un traitement-choc que je me donne.»

Contre Dieu

Patrick Senécal

Coups de tête, 107 pages