Chaque automne voit le Tremblay nouveau arriver sur les tablettes des librairies. Entre la Saskatchewan et le Québec, en passant par l'Outaouais, Le passage obligé, quatrième tome de La diaspora des Desrosiers, s'intéresse encore à l'enfance de Rhéauna, dite Nana, dite La grosse femme.

Michel Tremblay a dit il y a quelques années qu'il aimerait parfois faire un Réjean Ducharme de lui-même et devenir invisible. «C'est vrai après une journée d'entrevues comme aujourd'hui, où j'ai juste envie de me taire», dit-il en soupirant, manifestement fatigué. Mais l'écrivain ajoute du même souffle qu'il aime tout autant parler de son travail, l'expliquer et le défendre.

De toute façon, dès le Salon du livre terminé, il disparaîtra pour plusieurs mois, loin d'ici, à Key West où il passe tous ses hivers et où il est «un parfait nobody». Là-bas, il peut parfois être plusieurs semaines sans parler à personne. L'écrivain a besoin de solitude? «L'homme a besoin de solitude.»

Il en sort ces jours-ci pour défendre Le passage obligé, très beau roman sur la fin de l'enfance et le poids des responsabilités. Cette fois, Nana est revenue en Saskatchewan avec son petit frère, auprès de ses grands-parents et de ses deux soeurs, et sa mère Maria est de retour à Montréal. Plus que jamais, cette dernière est tiraillée par un dilemme: vivre avec ou sans ses enfants? Douloureux déchirement, que Michel Tremblay transmet avec une grande justesse. «Maria n'est pas une mère indigne, elle aime ses enfants, mais elle pense sincèrement qu'ils sont mieux loin d'elle.» L'auteur s'interroge. «Peut-être a-t-elle raison? Peut-être aussi se fait-elle des accroires maintenant qu'elle a goûté à la liberté? Pour moi, c'est le dernier des tabous, celui de la mère qui n'est pas maternelle, et ça m'intéresse de plus en plus.»

Le besoin de liberté de Maria est aussi lié à la bougeotte des Desrosiers, dont il retrace les péripéties depuis déjà trois livres: La traversée du continent, La traversée de la ville et La traversée des sentiments. À partir de leurs déplacements, au début du XXe siècle, il raconte ce qui a finalement mené Nana à Montréal... et à Gabriel, pour former le couple qui sera la genèse de son oeuvre - son père et sa mère. «Ma mère disait souvent que chaque enfant est un hasard. Mais que nous l'étions encore plus, parce qu'elle a traversé le Canada trois fois pour rencontrer mon père!»

Dans Passage obligé, Nana, à l'aube de l'adolescence, est à la croisée des chemins: sa grand-mère Joséphine agonise - un autre passage obligé, pierre angulaire du roman, plein de dignité et de tristesse - et elle doit quitter l'école pour s'occuper de la maisonnée. Pour s'évader, elle lit les contes fantastiques de Josaphat-le-Violon. Chacune des trois parties du livre se termine ainsi par un conte, dans lesquels farfadets, leveur de lune et religieuse cruelle se croisent... ainsi que les tricoteuses des Chroniques du Plateau-Mont-Royal. «Elles étaient déjà là dans La traversée des sentiments. Pour moi, c'est une façon de faire le lien entre les deux familles, celle de Nana et celle de Gabriel.» Car on retrouve dans ces trois contes l'origine de Gabriel, qu'il a voulu rendre mythique. Chaque histoire recèle ainsi un secret. «Ces contes sont comme une confession, alors chacun est construit comme si l'auteur mettait du temps avant d'arriver au coeur de son histoire. Ç'a été un défi à écrire, parce qu'il fallait garder l'intérêt jusqu'au punch. Il fallait qu'on s'attache au spunkie

Un tour de force auquel il est habitué: Michel Tremblay a toujours la même empathie pour tous ses personnages, et une immense tendresse se dégage de Passage obligé - la connivence et l'attachement entre Nana et ses grands-parents en est l'exemple le plus touchant. En cette époque où l'ironie et le cynisme sont de bon ton, cette douceur fait du bien. L'auteur de 68 ans, lui, croit que la jeune génération est plus romantique qu'elle ne le laisse voir. Mais il est catégorique: «Si on enlève l'humanité à la littérature, on se tire dans le pied.»

Sûrement que cette bonté l'a aidé à devenir le chouchou de la littérature québécoise. Un succès qui ne se dément pas et qu'il peut toujours constater à l'occasion de ses passages au Salon du livre de Montréal. Il y sera encore cette année, où il pourrait remporter un quatrième prix du public de suite. Sera-t-il déçu si ce n'est pas le cas? Non, s'offusque-t-il. «On ne sait jamais ce qui sera populaire ou non. Alors chaque prix est un cadeau.»

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Le passage obligé. Michel Tremblay. Leméac/Actes Sud, 256 pages.